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Ida B.

Décryptage : Les Amants


Dans l'histoire de l'art, rares sont les œuvres qui suscitent autant de fascination que celles du surréaliste belge René Magritte. Parmi ses créations captivantes, "Les Amants" se dresse comme un mystère visuel, invitant les spectateurs à plonger dans l'univers singulier du maître de l'illusion. Revenons sur le parcours de Magritte, sa vie, ses inspirations, et décryptons les secrets qui se cachent derrière cette toile énigmatique.




Qui était Magritte ?


René Magritte, né en 1898 à Lessines, est un peintre surréaliste belge.

René Magritte

Il est le fruit de l’union de Léopold Magritte, tailleur, et de Régina Bertinchamps, modiste. Après des déménagements familiaux, il s'installe à Châtelet en 1904, où son père devient inspecteur général d'une société de production d'huile et de margarine. Magritte fréquente l'école et découvre sa passion pour la peinture en 1910. À l'Exposition de Charleroi, il découvre la même année le cinéma, impressionné par les affiches des films mais également des publicités, ainsi que la photographie.


Alors atteinte d’une sévère dépression, Régina met fin à ses jours par noyade dans la Sambre en 1912. Tous quatre tenus pour responsables de ce drame, la famille se voit contrainte de déménager pour Charleroi l’année suivante.


En 1915, Magritte abandonne ses études et s'installe à Bruxelles pour peindre des tableaux impressionnistes. Après des études à l'Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, il développe rapidement son style distinctif. Influencé par le surréalisme émergeant à l'époque, il cherche à défier la réalité, à remettre en question les perceptions conventionnelles.


Au sein de l'Académie, Magritte explore les mouvements cubistes, futuristes, et dada au début des années 1920. Cependant, c'est en 1926 qu'il réalise "Le Jockey Perdu", marquant le début de son engagement dans le surréalisme. À ce moment, il rejoint le groupe naissant des surréalistes belges. Magritte prend la décision de quitter la Belgique pour Paris, où en 1927, il rencontre le cercle des surréalistes comprenant André Breton, Salvador Dali, Paul Éluard, Joan Miró, et Yves Tanguy.


Après le mariage de son père en 1928, Magritte et ses deux frères sont éduqués par une gouvernante. La famille retourne à Châtelet pendant la Première Guerre mondiale. Malgré les drames familiaux, Magritte restera résolument opposé à la psychanalyse, affirmant que l'art a besoin de commentaires, pas d'interprétations.


Ses créations, agissant fréquemment comme des énigmes visuelles, soulignent notre difficulté à distinguer entre la réalité et les images mentales produites par notre esprit. Ses tableaux offrent souvent deux niveaux d'interprétation, construits à partir de plusieurs images superposées.


Au-delà de son pinceau, Magritte était également un esprit profondément philosophique. Sa vie était tissée d'expérimentations artistiques et de questionnements métaphysiques, créant ainsi un terreau fertile pour des œuvres qui transcendent les frontières du réel.




Analyse des Amants


"Les Amants", réalisé en 1928, demeure l'un des tableaux les plus emblématiques de Magritte. Deux visages embrassés, dissimulés derrière un drap, suggèrent une intimité tout en dévoilant la dualité du mystère. La juxtaposition du voile et du baiser crée une tension émotionnelle unique.


René Magritte, Les Amants (1928). Huile sur toile, 54 × 73,4 cm, MOMA, New York
René Magritte, Les Amants (1928). Huile sur toile, 54 × 73,4 cm, MOMA, New York

Cette oeuvre de Magritte fait en réalité partie d'une série de quatre tableaux réalisés la même année, en 1928. Les trois autres tableaux portent le même nom, chacun étant distingué par un chiffre romain. La première de la série, qui nous intéresse aujourd'hui, montre un couple avec les visages recouverts d'un drap blanc, s'embrassant.


René Magritte, Les Amants II (1928), National Gallery of Australia, Canberra
René Magritte, Les Amants II (1928), National Gallery of Australia, Canberra

"Les Amants II" représente un couple debout côte à côte, cette fois sans s'embrasser, posant comme pour une photographie.


René Magritte, Les Amants III (1928). Collection privée
René Magritte, Les Amants III (1928). Collection privée

"Les Amants III" montre à nouveau un couple, avec cette fois-ci les visages visibles, mais l'homme semble dépourvu de corps, sa tête flottant au-dessus de l'épaule de la femme.


René Magritte, Les Amants IV (1928). Collection privée
René Magritte, Les Amants IV (1928). Collection privée

Enfin, "Les Amants IV" présente le même couple, mais dans une composition plus étendue, la femme assise sur un rocher. Cependant, l'homme, une fois de plus, n'a pas de corps, seulement une tête flottante. Cette série énigmatique ajoute un mystère supplémentaire à l'œuvre déjà intrigante "Les Amants".


Dans sa peinture "Les Amants", René Magritte présente un couple enlacé s'embrassant à travers un drap blanc enveloppant leurs têtes, leurs genres discernables uniquement par leurs vêtements, la femme en robe rouge et l'homme en costume noir. L'œuvre est marquée par un manque délibéré d'informations sur le lieu, attribuable au cadrage cinématographique en gros plan sur les têtes, probablement influencé par la passion de Magritte pour le cinéma depuis son enfance. Occupant tout l'espace de la toile au premier plan, le couple crée une scène d'amour évoquant les films romantiques. Les rares éléments architecturaux laissent place à des conjectures sur le lieu, peut-être le porche d'une maison, avec un ciel menaçant en arrière-plan. Cette simplicité scénique, associée au cadrage, permet à Magritte de concentrer l'attention du spectateur sur ce couple énigmatique.


René Magritte exploite fréquemment la métaphore dans son art, détournant des objets et jouant avec les mots. Dans cette œuvre, l'élément central est le drap blanc qui dissimule les visages des deux personnages. Ce drap confère une profondeur significative à l'œuvre de Magritte. Il capte notre regard, suscitant ainsi des questionnements. Ce drap pourrait évoquer le voile que chaque individu porte, dissimulant ses pensées profondes, ses désirs, ses secrets. Ce tableau serait alors une invitation à réfléchir sur la complexité de l'âme humaine.


Parmi les diverses interprétations possibles, le voile dans l'œuvre pourrait également signifier qu'ils s'aiment sans se voir, qu'ils se connaissent déjà et n'ont pas besoin de se voir pour s'aimer. Ce voile peut évoquer que la visibilité n'est pas essentielle pour l'amour, ou encore que vivre caché est nécessaire pour vivre heureux.


En tant que surréaliste, Magritte pourrait avoir peint le baiser des Amants voilés comme une métaphore du désir, dans le sens psychanalytique du terme, lié à l'inconscient, domaine d'expression du surréalisme. Ainsi, le désir de ces Amants demeure mystérieux, dépassant toujours l'autre aimé qui reste voilé. Le voile pourrait donc symboliser le désir, les amants étant submergés par leur propre désir et aspirant finalement au désir plus qu'à l'autre aimé. L'amant ne sait jamais vraiment qui il désire, ni même sa propre identité en tant qu'objet du désir de l'autre.


Certains critiques d'art ont établi un lien avec le voile qui recouvrait le visage de sa mère après son suicide par noyade. Cependant, il est crucial de mettre de côté cette fascination pour la psychanalyse, à tort indissociable du surréalisme, à laquelle Magritte n'adhérait pas du tout.


Ces deux visages recouverts par un drap peuvent ainsi susciter de nombreuses interprétations. Selon Magritte, l’explication de son œuvre détruirait ce mystère auquel le spectateur s’attache, et qui donne à l’œuvre toute son importance. L’artiste surréaliste cultive volontairement ce goût du mystère, et nous laisse choisir le sens qui nous parle le plus !





En conclusion, l'œuvre envoûtante de Magritte transcende les frontières du temps pour captiver encore et toujours notre imaginaire. À travers un jeu subtil d'éléments visuels, l'artiste belge a créé une énigme poétique qui continue de défier les interprétations figées. En digne représentant du surréalisme, Magritte refuse de briser le charme du mystère, laissant chaque spectateur explorer les recoins de son propre inconscient devant cette toile qui demeure un chef-d'œuvre intemporel de l'art moderne.

« Ça ne signifie rien car le mystère ne signifie rien… l’art c’est l’art et chacun en a sa propre interprétation » – René Magritte

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