Déjà Platon, dans La République, voyait la musique comme capable d’exalter la vertu et le courage. Véritable force motrice derrière les mouvements de protestation sociaux, la musique porte des messages de changement et d'unité, et incarne l'âme rebelle de ces moments historiques. Dans cet article, nous explorerons la place de la musique dans les mouvements de protestation sociaux.
Un cri d’unité
Souvent au cœur des manifestations, les chansons deviennent des armes vocales, des boussoles de la résistance, des chants de ralliement. Leurs messages, qu'ils critiquent le capitalisme ou dénoncent le racisme, résonnent comme des appels à l'action. Des paroles fortes scandées en chœur, créant un sentiment d'unité parmi les manifestants. De tout horizon musical, de nombreux artistes s’engagent en utilisant leur plateforme pour dénoncer les problèmes sociétaux.
Dans les années 70, le punk britannique, mené par le groupe mythique The Clash, s'est politisé, prenant pour cibles le capitalisme et l'impérialisme. Leurs paroles engagées et provocantes, tels que Washington Bullets, accusent ouvertement les États-Unis de leurs actions en Amérique latine. Le punk, antifasciste et anti-raciste par définition, a façonné un mouvement de résistance.
En France, des chanteurs comme Renaud ont pris position aux côtés des ouvriers, dénonçant les injustices sociales, laissant leurs chansons témoigner de ces luttes. La musique a ainsi continué à être le porte-voix des aspirations et des frustrations, le miroir de la société et un moyen d'exprimer la recherche de justice et d'égalité.
Le cas du rap conscient
Dans l'hexagone, la scène rap prend le relais, notamment dans les années 90. Les rappeurs s'érigent en porte-voix des revendications sociales et politiques, transformant ce genre en un outil puissant pour la protestation. Des groupes comme NTM ou IAM dénoncent bravement le racisme et les conditions de vie dans les banlieues.
Pourtant, le paysage du rap français a évolué. Le rap conscient, qui aborde des thèmes sociaux, est devenu une source de controverse. En 2012, Kery James sort Lettre à la République, un pamphlet accusateur pointant du doigt la France et son passé colonial. La violence de ses paroles lui vaudra de vives critiques de la part des médias.
L’année suivante, Akhenaton du groupe IAM réunit 12 rappeurs pour commémorer la Marche pour l'égalité et contre le racisme, trente ans après à travers le morceau Marche. Cependant, les paroles incendiaires attirent une fois de plus l'attention des médias. Le rappeur Nekfeu qui y réclame “un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo”, se retrouvera dans une spirale médiatique 2 ans plus tard lors des attentats.
Plus récemment, Kery James et Orelsan s’associe dans le morceau A qui la faute, qui décrit le ras-le-bol des précaires et des banlieusards. Les paroles abordent la pauvreté, les quartiers, l'État, et les zones rurales. Ce titre invite à réfléchir sur la responsabilité partagée dans la situation des quartiers défavorisés.
Pourtant, il ne faut pas laisser les polémiques éclipser le message global de ce mouvement. Dans le rap, les mots deviennent des armes, des fenêtres sur une société en mutation et sur les inégalités persistantes.
Contestation populaire, culture populaire
Depuis 2018, les manifestations en France prennent des formes diverses, qu'elles soient étudiantes ou ouvrières, mais ont toutes un dénominateur commun : la musique. Transcendant les frontières et se fondant dans le tissu des mouvements sociaux, la musique apporte une touche de rythme et d'énergie à la lutte.
Étonnamment, certaines chansons, dépourvues d'engagement politique, ont émergé au cœur de ces mouvements. Par exemple, Freed from Desire de la chanteuse italienne Gala, est devenue l'hymne officieux de la contestation. La chanson a résonné dans les couloirs occupés de l'université Paris 1, où les étudiants se mobilisaient contre la réforme Parcoursup. Puis, elle a continué à marquer son empreinte lors des rassemblements des cheminots, qui protestaient contre la réforme des retraites. Et, de manière surprenante, cette chanson a même joué en arrière-plan lors de certaines confrontations tendues entre les forces de l'ordre et les manifestants.
Lors des manifestations, bon nombre de slogans sont empruntés au rap. Les manifestants arborent sur leurs pancartes des paroles de chansons décrivant leurs frustrations et espoirs, leur donnant ainsi une dimension tangible. Le messages fort de SCH "Se lever pour 1200 c’est insultant" dans son morceau A7 devient récurrent dans les mouvements de contestation sociaux, qu’ils soient contre la loi travail en 2016 ou encore la réforme des retraites en 2022.
“Y'a quand même une assez grande inégalité des salaires. C'est dans ce sens-là que je le dis (…) c'était pour donner de la force, je suis avec eux. Je l'ai fait moi, tu as vu. Porter des palettes à 5h du matin à 0° sur un Fenwick, à l'extérieur avec un pétard au bec… Je l'ai fait et sur la vie de ma mère, c'est dur. De savoir que y'a encore des gens de 50-60 ans qui font ça et des petits jeunes qui vont faire ça toute leur vie, ça me révolte. Je me range de leur côté.” confiait SCH lors d’une interview accordée à Vice.
De la même manière, lors d'une manifestation spontanée organisée par des étudiants de l'Université de Cleveland, aux États-Unis, en marge d'une conférence du mouvement Black Lives Matter, la musique de Kendrick Lamar résonne comme un hymne d'espoir. Alors qu'un jeune adolescent de 14 ans était appréhendé par la police, la foule a spontanément entonné le refrain d'Alright. Cette chanson, extraite de l'album To Pimp A Butterfly, a été adoptée comme un manifeste contre les violences policières depuis sa sortie. Le clip mais également la performance aux BET Awards, où Kendrick interprète sa chanson debout sur une voiture de police face au drapeau américain, renforcent son statut d'hymne de protestation contre l'injustice.
Pour finir, la musique joue un rôle central dans les mouvements de protestation sociaux. Les artistes apportent leur contribution en donnant une voix aux aspirations et aux frustrations de la société. Leurs paroles deviennent des hymnes qui unissent les manifestants et inspirent le changement. La musique n'est pas seulement une bande-son, mais un catalyseur de la conscience sociale, un moyen pour les individus d'exprimer leur désir de justice et d'équité. Elle reste ainsi un pilier essentiel de la lutte pour un monde meilleur.
Dans son livre Un long chemin vers la liberté publié en 1996, Nelson Mandela disait “la politique peut être renforcée par la musique, mais la musique a une puissance qui défie la politique”.
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