Dans l'éclat du XIXe siècle, une toile a émergé, bravant les conventions artistiques et sociales de son temps : le Portrait d'une femme noire de Marie-Guillemine Benoist. Ce chef-d'œuvre, témoin d'une époque en pleine mutation, nous invite à plonger au cœur des questionnements identitaires, des luttes pour l'égalité et des bouleversements esthétiques. À travers l'analyse de cette toile emblématique, nous explorerons les intrications de la race, du genre et de la classe sociale, révélant ainsi les subtilités d'un tableau qui transcende son époque.
Qui était Marie-Guillemine Benoist ?
Marie-Guillemine Benoist, née Marie-Guillemine Laville-Leroux, fut une peintre néoclassique révolutionnaire du XVIIIe siècle. Elle se forge une identité picturale sous les ailes d'Élisabeth Vigée Le Brun dès 1781. En 1786, elle entre à l’atelier de Jacques-Louis David, investi dans la fonction de Premier peintre par Napoléon Ier. Inspirée par les tourments de l'époque, elle émerge en 1791 au Salon avec "Psyché faisant ses adieux à sa famille", une œuvre qui transcende les frontières de la mythologie classique. Après de rudes attaques en 1795, Marie-Guillemine abandonne les sujets classiques pour la peinture de genre et se libère de l’influence de David.
En 1800, elle expose au Salon son "Portrait d'une femme noire", qui ébranle les consciences. Peint seulement six ans après l’abolition de l’esclavage, ce tableau est considéré comme son chef-d'œuvre et comme un manifeste de l’émancipation des esclaves et du féminisme. Sa peinture est honorée d'une médaille d'or lors du Salon de 1804, lui valant ainsi une pension octroyée par le gouvernement.
Malgré les pressions sociales, elle ouvre un studio exclusivement féminin et remporte les honneurs du Salon de 1804. Cependant, les vents changeants de la Restauration l'obligent à renoncer à son art public, sacrifiant sa propre lumière pour l'éclat de son mari, Pierre-Vincent Benoist, conseiller d'État.
Analyse de Portrait de Madeleine
Le tableau intitulé "Portrait de Madeleine" capture l'image d'une domestique issue d'un foyer de colons guadeloupéens, ayant temporairement résidé dans la métropole à la fin du XVIIIe siècle.
L'artiste représente son modèle dans une pose qui évoque le célèbre “Portrait de Madame Récamier” de David, réalisé la même année. Marie-Guillemine Benoist jongle avec les contrastes, entre la peau noire modelée avec subtilité et la blancheur éclatante du turban et de la robe, aux plis étudiés emblématiques du néoclassicisme. La figure se détache distinctement d'un fond neutre, sans artifice.
Cette femme se trouve dans une situation qui défie les normes de son statut de domestique. Présentée de trois quarts, le sein audacieusement dénudé, la femme regarde droit dans les yeux du spectateur. Siégeant dans un fauteuil orné d'un riche tissu, elle occupe la position traditionnelle d'une femme blanche. Il ne s'agit pas d'une représentation typique. Marie-Guillemine ne cède pas à une fantaisie exotique, mais plutôt à un portrait authentique, à la beauté énigmatique.
Le regard de la femme intrigue par son intensité. Elle semble entraîner le spectateur ou l'artiste dans une confrontation implicite. L'élégance gracieuse et l'harmonie des couleurs héritées d’Elisabeth Vigée-Lebrun imprègnent également ce portrait d'une empathie qui suggère une compréhension profonde de l'artiste pour son modèle. Son anonymat permet de la dénuder, rappelant la Fornarina de Raphaël, mais l'artiste rend aussi palpable sa vulnérabilité psychologique et sa résignation face à un univers qui lui est étranger.
L'œuvre met en évidence la différence raciale en capturant avec précision la pigmentation noire de la peau ainsi que la texture des cheveux et les traits distinctifs du visage. Citoyenne de son temps, Benoist est probablement influencée par les gravures abolitionnistes publiées dans les années 1790. Les idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité, bien que proclamés pendant la Révolution, peinent à être pleinement assimilés.
En 1800, les critiques étaient décontenancées par « cette main blanche et jolie qui nous a fait cette noirceur !» : un écart manifeste entre la noblesse de la représentation et le modèle, réduit à une étiquette générique et raciale jusque dans son intitulé initial “Portrait d’une négresse”.
L'exposition “Le modèle noir” redonne à Madeleine son identité, tout en reconnaissant la trace de ses anciens titres. Une première étape vers la révision des dénominations colonialistes ou esclavagistes. Dans les hauteurs du musée d'Orsay, l'installation de Glenn Lidon met en lumière cette quête d'authenticité. Les noms de Madeleine et d'autres modèles noirs, comme Laure la servante de “L'Olympia” de Manet, autrefois marginalisés, sont désormais mis en évidence.
Mais le “Portrait de Madeleine” révèle bien plus. Il ouvre une nouvelle voie dans l'histoire de l'art et des représentations. Pour la première fois, grâce aux recherches d'Anne Lafont et Marianne Levy, Madeleine a une biographie. Originaire de Guadeloupe, elle était une esclave affranchie, employée comme domestique chez le beau-frère de la peintre Marie-Guillemine Benoît. Dans l'atelier, un échange a nécessairement eu lieu entre ces deux femmes, comme le souligne Anne Lafont dans “Une Africaine au Louvre”. Madeleine a contribué à façonner cette image subjective, elle n'est pas un simple objet passif du regard. Réduire les systèmes de domination à des ancêtres directs du racisme actuel est une simplification. L'histoire est plus complexe et diversifiée.
Il est important de rappeler que Madeleine apparaît en 1800, pendant la première période d'abolition de l'esclavage. Son sein n'est pas un rappel de sa condition, mais une affirmation de son émancipation. Le “Portrait de Madeleine” s'inscrit désormais dans un nouveau récit, intégrant le point de vue des modèles noirs et leur contribution à la modernité. Un pas en avant vers une histoire plus inclusive.
En contemplant le Portrait d'une femme noire de Marie-Guillemine Benoist, nous sommes confrontés à une vision audacieuse et visionnaire. Cette toile, bien plus qu'un simple portrait, incarne le reflet d'une époque en mutation, où les idéaux révolutionnaires côtoient les réalités sociales et raciales. À travers le regard énigmatique de cette femme noire, nous sommes invités à questionner nos propres préjugés et à réfléchir sur les notions d'égalité, de liberté et de fraternité, affirmant ainsi la pertinence intemporelle de l'œuvre de Benoist.
תגובות