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Ida B.

Faut-il arrêter les défilés de mode ?

Les défilés, phares de l'industrie de la mode, représentent une vitrine éphémère où des mois de travail acharné prennent vie en quelques minutes seulement. À la croisée des chemins entre art et affaires, ces événements doivent vendre des vêtements tout en insufflant une émotion mémorable. Chaque année, les Fashion Weeks drainent des foules du monde entier dans les Big Four. Néanmoins, ces spectacles s'accompagnent d'une lourde empreinte carbone : trajets aériens, décors grandioses, hébergements fastueux... La facture environnementale est loin d'être légère. Face à cette réalité, une question essentielle émerge : un défilé éco-responsable est-il envisageable dans l'univers de la mode ?



Véritable institution


Le défilé incarne l'inauguration d'une collection, un prologue visuel qui marque le début d'une nouvelle saison. Reflet de la créativité et de l’innovation dans l’industrie de la mode, les défilés sont l’occasion pour les créateurs de présenter leur labeur et de fournir leur vision personnelle de la mode pour la saison à venir. A ce titre, le défilé est une représentation artistique, parfois même une performance. Du lieu à la scénographie, tout est minutieusement pensé pour sublimer cette expérience. Selon Didier Grumbach, ex-président de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode (FHCM), le défilé “c'est à chaque fois un spectacle complet qui doit faire passer l'émotion et raconter une histoire en quelques minutes”.


L’art du spectacle se mêle à la mode dans les années 60 avec l'arrivée de nouveaux créateurs comme Courrèges choisissant de casser les codes établis jusque-là par la haute couture. Dès 1980, le défilé de mode se transforme en véritable spectacle, sous l'influence des jeunes créateurs. Thierry Mugler, tant couturier que scénographe, incarne cette extravagance avec des présentations saisissantes. En contrepoint, Azzedine Alaïa ose organiser un défilé dans son propre appartement, avec les invités assis sur des tabourets. La décennie suivante voit l'avènement des Supermodels, dont l'aura de séduction sublime les défilés de Gianni Versace. Les défilés deviennent grandioses pour les Maisons et leur coût explose. De nouveaux métiers spécialisés apparaissent : designer lumières, directeur de production organisant l'ensemble du déroulement, ou encore l'illustrateur sonore fournissant un habillage musical au défilé.

Thierry Mugler, Collection Automne-Hiver 1984, le 23 mars 1984. Zénith de Paris © Daniel SIMON/Gamma-Rapho via Getty Images
Thierry Mugler, Collection Automne-Hiver 1984, le 23 mars 1984. Zénith de Paris © Daniel SIMON/Gamma-Rapho via Getty Images


Le défilé ne vise pas uniquement l'auditoire présent dans la salle, mais également les médias et la frénésie des réseaux sociaux. Un événement esthétiquement conçu sous toutes ses coutures, pour ravir tous les observateurs, quel que soit l'angle sous lequel on le perçoit. Les fashion weeks de Paris, Milan, New York et Londres sont attendues comme des temps forts de la mode, où les regards du monde entier se tournent vers les dernières tendances. Créateurs et Maisons investissent massivement dans le défilé, en tant qu'outil de communication clé.



Une facture salée pour la planète


Pourtant, derrière ces spectacles éblouissants se cache une réalité sombre. L’industrie de la mode est la seconde industrie la plus polluante. Les défilés de mode ont un coût environnemental considérable. Des milliers de kilomètres parcourus par les participants, des tenues créées à partir de matériaux parfois peu durables, et une quantité de déchets impressionnante. Les fashion weeks, qui se tiennent plusieurs fois par an dans différentes villes du monde, ont un impact considérable sur les émissions de carbone.


Selon les estimations du Carbon Trust, les Fashion Weeks engendrent chaque année une émission colossale de 241 000 tonnes de CO2. Ce chiffre astronomique équivaut à l'éclairage de Times Square pendant 58 années consécutives. Ça fait un peu beaucoup là, non?

Les principales sources de ces émissions carbone sont diverses : les trajets en avion (147 000 tonnes de CO2), les émissions liées à l’hébergement (78 000 tonnes de CO2), les trajets d’un show à l’autre (11 000 tonnes de CO2) ou encore le transport des collections (5 000 tonnes de CO2).


Au-delà des Fashion Weeks, de nombreux défilés de mode s'avèrent être de véritables désastres environnementaux, comme le défilé Yves Saint-Laurent en juillet 2022. C’est dans le désert d’Agafay, au Maroc, qu’Anthony Vaccarello - directeur artistique de la maison Yves Saint-Laurent - a choisi de présenter sa collection homme printemps-été 2023. Une gigantesque dalle de béton a été placée en plein cœur du désert marocain, laissant un impact durable sur un lieu jusque-là préservé. Le groupe Kering, qui possède Saint Laurent, a réservé un terrain dans le désert marocain, construit une route de 6 kilomètres pour y accéder, édifié des bâtiments temporaires et installé des climatiseurs. Ce chantier colossal - pour 15 petites minutes de défilé - aurait pu s’arrêter ici. C’était sans compter la construction de la piscine pour accueillir le catwalk. 50 camions de 10m3 qui ont été nécessaires pour la remplir, soit près de 500 m3 dans une région désertique. Une triste réalité qui soulève des questions sur les priorités de l'industrie de la mode.

Yves Saint-Laurent, Collection Homme SS23, 15 juillet 2022. Désert d’Agafay, Maroc. © Saint Laurent. Photo : Alberto Maddaloni
Yves Saint-Laurent, Collection Homme SS23, 15 juillet 2022. Désert d’Agafay, Maroc. © Saint Laurent. Photo : Alberto Maddaloni

En dépit des moyens déployés, le groupe Kering affirme que ce défilé atteint la neutralité carbone : les émissions de gaz à effet de serre ont été calculés et sont compensés par des projets de préservation des forêts.



Repenser les défilés


Face à ces constats, les voix s'élèvent pour demander une réforme de l'industrie de la mode et de ses défilés. En 2019, la Fashion Week de Stockholm a été annulée pour des raisons écologiques. De nombreux influenceurs prennent position en refusant de participer à des défilés et de les partager sur leurs réseaux sociaux, à l'instar de la créatrice de contenus Shera Kerienski, n'hésitent pas à exprimer ouvertement leurs préoccupations à ce sujet.


Des approches davantage éco-responsable sont possibles. En octobre dernier, le marché Saxe-Breteuil à Paris s'est métamorphosé en "Stella's Sustainable Market" pour le défilé Printemps-Été 2024 de Stella McCartney. Cette collection plonge au cœur de l'histoire personnelle de la directrice artistique, s'inspirant de la garde-robe partagée de ses parents et de leur engagement envers l'environnement. Précurseure de la mode écologique, la créatrice place la durabilité au cœur de sa nouvelle collection en utilisant 95 % de matériaux respectueux de notre planète. Avec une approche éclectique, cette collection abolit les frontières entre les générations et les genres, tout en restant fidèle à une trajectoire responsable. Quelques pièces sont confectionnées à base de coton biologique, d’autres utilisent un fil innovant à base d'algues, Kelsun™️, marquant une première mondiale dans l'univers du luxe.

Stella McCartney, Stella's Sustainable Market : Collection SS24, PFW. © Launchmetrics Spotlight.
Stella McCartney, Stella's Sustainable Market : Collection SS24, PFW. © Launchmetrics Spotlight.

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