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Ida B.

Les seins dans l'art


A la fois objet de désir, organe nourricier et symbole politique, le sein est un motif aussi ancien que l'art lui-même. Leurs représentations varient au gré des critères de beauté, opulents ou menus, fermes ou pulpeux, assumés ou cachés.

Au fil des siècles, les seins ont occupé une place privilégiée dans l'expression artistique, évoquant des émotions variées, de la pure esthétique à des commentaires sociaux et politiques. Cet article plonge dans l'histoire fascinante de la représentation des seins dans l'art, explorant les diverses perspectives culturelles, esthétiques et symboliques qui ont façonné cette récurrence artistique. Des œuvres emblématiques aux artistes contemporains, découvrons comment cette partie du corps humain a transcendé les époques et les genres artistiques, capturant l'essence même de la créativité et de l'imagination humaine.




Objets du male gaze


En explorant cette partie du corps, on constate son lien avec la réflexion sur la féminité, évoluant jusqu'à l'époque actuelle et sa redéfinition de l'identité corporelle. Les seins dans l'art ont toujours reflété les dynamiques sociales occidentales, ancrées dans l'idéal de féminité de l'Antiquité grecque, comme la Vénus de Milo du Louvre.


Alexandre d'Antioche, La Vénus de Milo, 150-130 av. J.-C. © Wikimedia Commons / Dion Hinchcliffe
Alexandre d'Antioche, La Vénus de Milo, 150-130 av. J.-C. © Wikimedia Commons / Dion Hinchcliffe

La statuaire antique, imprégnée d'un regard masculin, impose une vision à la fois séduisante et pudique des seins. Certaines déesses sont ainsi représentées avec une main bien placée. La Vénus Pudica, ou Vénus de Médicis, couvrant ses organes sexuels, dirige le regard inévitablement vers eux.


Comme le reste du corps, les seins sont un thème qui nous concerne à un niveau très élémentaire. Le fait d'avoir un corps est quelque chose d'universel. Et la vision d'un nu, y compris artistique, suscite immédiatement des associations d'idées. Selon Dagmar Hirschfelder, historienne de l’art, cette fascination persiste en raison de la composante profondément humaine et existentielle du corps, de son attrait érotique, du contact et de la peau, des thèmes qui continueront à captiver l'humanité au fil des siècles.


Les anciens maîtres célébraient la beauté des seins, une esthétique reprise à la Renaissance avec l'idéal antique des seins en forme de pomme. Le grand maître florentin Sandro Botticelli, dans des œuvres telles que "La Naissance de Vénus", explore ce motif en cachant la poitrine et le pubis de la déesse.

Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus, 1485. Tempéra sur toile, 1,72 × 2,78 m. Galerie des Offices, Florence
Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus, 1485. Tempéra sur toile, 1,72 × 2,78 m. Galerie des Offices, Florence

La Naissance de Vénus figure parmi les tableaux les plus célèbres de l'histoire de l'art. Cette peinture emblématique représente Vénus née de l'écume, évoquant la sculpture avec une immobilité suggérée, sa chevelure dorée étant le seul élément en mouvement.


À l'époque moderne, le regard artistique sur le corps féminin était principalement masculin, influencé par des normes érotiques et des idéaux de féminité de l'époque. Les tableaux, souvent créés par des artistes masculins pour un public principalement masculin, projettent une vision de la femme comme objet de désir, réservée et passive, reflétant les notions contemporaines de la féminité.




Des seins sacrés


Dans la tradition chrétienne, le sein dévoilé est lié à la piété religieuse, particulièrement incarné par le sein vertueux de Marie, la Sainte par excellence. À cette époque, l'image de la Vierge allaitante, présente dans de nombreuses œuvres, porte une charge émotionnelle significative, symbolisant le sein sacré en tant que source de nourriture spirituelle pour la communauté chrétienne. Cette représentation crée une proximité immersive, invitant à participer à la scène et à ressentir l'effet désiré : une communion étroite avec Dieu. Bien que Marie ne soit pas divine, elle incarne la sainteté suprême, exprimant un amour empreint de sollicitude en nourrissant le Christ lui-même. Dans ces tableaux, l'allaitement est interprété comme un acte d'amour envers autrui, soulignant que même Jésus, l'incarnation de Dieu, a besoin de lait. Il est crucial de ne pas interpréter de manière érotique le sein qui, en théorie du moins, met en lumière la miséricorde de Marie.


Jean Fouquet, Diptyque de Melun, panneau droit : « Marie et l’Enfant entourés de séraphins et de chérubins », 1452-1458. Huile sur bois, 1,20 x 2,24m. Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers
Jean Fouquet, Diptyque de Melun, panneau droit : « Marie et l’Enfant entourés de séraphins et de chérubins », 1452-1458. Huile sur bois, 1,20 x 2,24m. Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers

Les représentations de seins dans les musées oscillent entre l'esthétique, la sensualité et souvent des connotations religieuses. Cependant, rares sont les œuvres qui parviennent à fusionner harmonieusement tous ces éléments. C’est le cas de la Vierge de Melun, peinte par Jean Fouquet au milieu du XVe siècle. La sphère parfaite émergeant de son corsage capte immédiatement l'attention, introduisant une érotisation inédite du sacré. Pour la première fois dans l'histoire de l'art, le sein, à la fois sacré et vertueux, revêt une suggestivité marquée. Il convient de noter que derrière les traits de cette Vierge se dissimule Agnès Sorel, dame de la cour de Charles VII et favorite du roi. Malheureusement, elle décède avant d'avoir pu contempler ce tableau qui lui rend un hommage remarquable.




Des seins politiques


Dans le domaine artistique, le sein peut être à la fois source d'émotion, idéal esthétique, objet de désir transgressant les tabous, et porteur d'un pouvoir, notamment politique.


Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830. Huile sur toile, 2.60 x 3.25 m. Musée du Louvre, Paris
Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830. Huile sur toile, 2.60 x 3.25 m. Musée du Louvre, Paris

La renommée de "La Liberté guidant le peuple" d'Eugène Delacroix, peinte en 1830 lors de l’insurrection des Trois Glorieuses, transcende les frontières. Associée à la Révolution française, elle dépeint le soulèvement populaire contre Charles X. Au centre, la liberté, au sein dénudé, domine la scène parisienne du XIXe siècle. Chaque détail, minutieusement pensé par Delacroix, souligne le pouvoir de cette femme. L'allusion à l'antique, accentuée par les seins découverts, crée une ambiguïté fascinante. Malgré son statut de femme du peuple, la liberté incarne une force idéalisée, suscitant l'interrogation avec des détails tels que les poils sous les aisselles et la peau légèrement hâlée, symboles de la paysannerie. Delacroix évite de la rendre reconnaissable, la rendant universelle et réutilisable au fil du temps. Cette image a été reprise au XXe siècle et reste utilisée de nos jours par des mouvements militants, dépassant son lien étroit avec des personnages historiques spécifiques.


Honoré Daumier, La République, 1848. Huile sur toile, 73 x 60 cm. Musée d’Orsay, Paris
Honoré Daumier, La République, 1848. Huile sur toile, 73 x 60 cm. Musée d’Orsay, Paris

En 1848, suite à la proclamation de la République, Honoré Daumier esquisse une Marianne aux seins nus, personnification du nouveau régime. La République devient une mère nourrissant symboliquement la Nation en allaitant deux enfants simultanément.


À côté des représentations allégoriques, l'école française présente un exemple frappant de femmes aux seins dénudés engagées dans l'action politique.


Jacques-Louis David, Les Sabines, 1796-1799. Huile sur toile, 3.85 × 5.22 m. Musée du Louvre, Paris.
Jacques-Louis David, Les Sabines, 1796-1799. Huile sur toile, 3.85 × 5.22 m. Musée du Louvre, Paris.

"Les Sabines" de Jacques Louis David, achevée en 1799, dépeint l'expédition des Sabins pour reconquérir leurs filles et sœurs enlevées par les Romains. Cependant, les Sabines, devenues épouses et mères entre-temps, refusent une guerre meurtrière et s'interposent entre les combattants. Au centre, des femmes puissantes et en mouvement contrastent avec des hommes figés dans la tente. Le tableau capture l'affrontement entre Romains et Sabins, mettant en scène Romulus, le roi de Rome, face à Tatius, le roi des Sabins, et au milieu Hersilie, à la fois fille de Tatius et épouse de Romulus, dans une dimension totalement tragique. Une femme, dans un geste désespéré, brandit un enfant, obligeant les hommes à suspendre les hostilités. Au milieu de ce tumulte, les femmes, dont une avec les seins nus, occupent le centre, symbolisant la maternité et le pouvoir politique dans cette bataille dominée par les femmes.




Une sexualisation de la violence


L'émotion provoquée par les représentations des seins dans l'art atteint un niveau supérieur lorsque la chair est meurtrie, comme c'est le cas dans "Le martyre de Sainte-Agathe" de Giambattista Tiepolo.


Giambattista Tiepolo, Le Martyre de Sainte Agathe, 1750. Huile sur toile, 1.84 x 1.31 m. Gemäldegalerie, Berlin.
Giambattista Tiepolo, Le Martyre de Sainte Agathe, 1750. Huile sur toile, 1.84 x 1.31 m. Gemäldegalerie, Berlin.

Le peintre italien dépeint Sainte Agathe après que le bourreau lui a coupé les seins, laissant place à l'imagination des spectateurs quant aux sévices subis. Agathe, consacrant sa virginité à Dieu, repousse les avances d'un proconsul païen qui la torture en représailles. Si le tableau de Tiepolo est un chef-d’œuvre, c'est parce que le supplice demeure hors champ, la poitrine ensanglantée de la victime étant seulement suggérée. Le peintre nous présente une Agathe résiliente malgré l'épreuve récente. Agathe est dépeinte comme une Sainte exemplaire, manifestant la force de ses convictions et une foi inébranlable en Dieu à travers son martyre.


L’horreur de la torture, des mutilations, de la violence sexuelle, du viol sont des images abondamment présentes au XXe siècle. De nombreux tableaux dépeignent la jeune femme en plein martyre. Chez le peintre espagnol Francisco de Zurbarán, Agathe est représentée portant ses seins arrachés sur un plateau.


Francisco de Zurbarán, Sainte Agathe, 1635-1640. Huile sur toile, 127 x 60 cm. Musée Fabre, Montpellier.
Francisco de Zurbarán, Sainte Agathe, 1635-1640. Huile sur toile, 127 x 60 cm. Musée Fabre, Montpellier.

De la luxuriance sensuelle à la violence sexualisée, il n'y a qu'un pas. Dans son tableau "Suzanne et les vieillards", Rembrandt immortalise un épisode de l'Ancien Testament d'une manière intime et sombre.


Rembrandt, Suzanne et les vieillards, 1647. Huile sur bois, 76.6 × 92.8 cm. Gemäldegalerie, Berlin.
Rembrandt, Suzanne et les vieillards, 1647. Huile sur bois, 76.6 × 92.8 cm. Gemäldegalerie, Berlin.

L'œuvre présente deux vieux juges harcelant une jeune femme qui leur résiste. Le peintre manipule la psychologie du spectateur pour l'impliquer dans la scène. Suzanne est assaillie par ces deux juges menaçants, désireux de la violer, tandis que le spectateur devient complice d'une forme de violence et d'appropriation de la scène grâce à ce dispositif voyeuriste. Nous observons cette femme nue qui nous est également livrée. Suzanne se tourne vers nous d’un air apeuré, fixant le spectateur droit dans les yeux, révélant son désespoir, son impuissance et sa vulnérabilité. Bien qu'elle sollicite notre aide, nous, en tant que spectateurs, menaçons Suzanne. Contrairement à beaucoup d'autres artistes, Rembrandt n'opte pas pour une version érotisée du corps et de la beauté de Suzanne. Il ne dévoile ni ses seins, dissimulés, ni son sexe, caché par le drap. Ainsi, il offre une représentation très personnelle de cet épisode.




La réappropriation du corps


À travers les siècles, le regard masculin a dominé la perception des seins. Désormais, c'est aux femmes de faire valoir leur propre perspective.


Sur la toile intitulée "Jeune femme en négligé", la poitrine du modèle est dénudée, son déshabillé vaporeux dévoilant plus qu'il n'en cache. Cette œuvre, apparemment classique de 1769, est l'œuvre d'une femme artiste.


Anna Dorothea Therbusch, Jeune femme en négligé, 1769. Huile sur toile .Gemäldegalerie, Berlin
Anna Dorothea Therbusch, Jeune femme en négligé, 1769. Huile sur toile .Gemäldegalerie, Berlin

Anna Dorothea Therbusch, figure artistique majeure du XVIIIe siècle en Allemagne, était une portraitiste talentueuse, ayant une carrière remarquable auprès des monarques et de la noblesse. Elle était également membre de plusieurs institutions artistiques, dont l'Académie royale de Paris, une reconnaissance significative pour une femme à cette époque. Lorsqu'elle présente ce nu au Salon de 1765 à Paris, elle suscite l'opposition de son confrère François Boucher. Bien que Boucher ne remette pas en question la qualité du tableau, il désapprouve qu'une femme le signe, percevant sans doute une forme de concurrence. En tant que spécialiste du nu et de la peinture galante, il considère le droit de représenter les corps féminins sous toutes les coutures comme une prérogative exclusivement masculine.


L'artiste britannique en plein essor, Adelaide Damoah s'inspire émotionnellement du destin de ses ancêtres féminins. L'artiste utilise son propre corps comme un instrument artistique, une démarche à la fois libératrice et cruciale. Elle s'insère dans ce discours en pressant son corps contre du papier, en occupant l'espace, en prenant de la place dans ses performances. Il est essentiel, surtout pour les femmes noires, de s'approprier un territoire sur la scène artistique et plus généralement dans le monde.



À travers cette forme d'art corporel, Adélaide Damoah s'inscrit dans une tradition incarnée par des artistes tels qu'Yves Klein, qui, dans les années 50, a développé les anthropométries, impliquant des femmes nues se couvrant de peinture bleue pour ensuite apposer l'empreinte de leur corps sur une toile. Contrairement à Klein, Damoah est à la fois l'artiste et la metteuse en scène de ses performances, choisissant elle-même les mouvements qu'elle exécute. “J'ai ressenti le besoin d'apporter un contrepoint féministe à la performance d'Yves Klein et il me sembla nécessaire de filmer le processus pour le fixer même si j'étais seule dans mon atelier je l'ai vécu comme une performance.” explique Adelaide Damoah.





De la Vénus de Milo aux œuvres contemporaines audacieuses, cette exploration a dévoilé une continuité étonnante dans la représentation artistique des seins. Symboles de féminité, acteurs clés de déclarations politiques, et sujets de contemplation esthétique, les seins demeurent un sujet artistique d'une richesse inépuisable, porteurs d'un héritage visuel et symbolique qui perdure au-delà des époques.

De nos jours, les stéréotypes de genre s'ébranlent et la diversité transcende les catégories masculines et féminines. Ce phénomène n'est pas entièrement nouveau ; déjà dans la statuaire grecque antique, on trouve des représentations d'hermaphrodites, des êtres à la fois masculins et féminins. Ce qui a évolué, ce sont les modalités de représentation. Analyser les oeuvres du répertoire passé n’en demeure pas moins crucial pour comprendre le contexte spécifique dans lesquelles elles s’inscrivent et les conditions de vie des femmes de leur époque.

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