Dans l'univers captivant de l'art américain, une toile emblématique s'impose comme une icône indétrônable : American Gothic de Grant Wood. Cette œuvre empreinte d'énigme et de symboles a transcendé le temps pour devenir un pilier de la culture visuelle américaine. À travers le regard perçant d'un couple rural, Wood offre une méditation subtile sur l'Amérique du Midwest et son époque tourmentée. Plongeons dans les méandres de cette toile, décryptant ses secrets, ses controverses et l'héritage artistique qu'elle a laissé dans son sillage.
Qui était Grant Wood ?
Grant Wood est un artiste américain né en 1891 dans l'Iowa. Il grandit dans la ferme de ses parents à Anamosa. Ce cadre rural idyllique a eu un effet profond sur Wood et a grandement influencé ses peintures ultérieures.
En 1910, Wood fréquente la Minneapolis School of Design and Handicraft et apprend à travailler le métal et les bijoux ainsi qu'à fabriquer des meubles. Il expose des peintures localement, dans les grands magasins, et obtient plusieurs commandes.
Dans les années 1920, Wood voyage en Europe et visite des musées en France et en Italie. Il étudie à l'Académie Julian à Paris, avant de revenir aux États-Unis inspiré par l'impressionnisme. En 1928, il voyage à Munich en Allemagne où il découvre les peintures de maîtres allemands et flamands des XVe et XVIe siècles et s’étonne de leur réalisme et de leur souci du détail. Il abandonne alors l'impressionnisme et le “gothique américain” est le résultat de cette nouvelle passion. L’artiste a développé un style unique qui fusionne réalisme et symbolisme, capturant ainsi l'essence même de l'Amérique rurale.
La peinture lui a apporté une renommée presque instantanée et lui a fourni la plate-forme pour promouvoir le régionalisme auprès de nouveaux artistes en herbe. Cependant, la montée de l’art abstrait dans les années 1940 a conduit à un déclin de l’intérêt pour le travail de Wood. Il meurt d'un cancer en 1942, à l'âge de 50 ans.
Décryptage de American Gothic
Grant Wood peint American Gothic en 1930, au tout début de la Grande Dépression, à savoir la crise économique qui fait suite au krach boursier de 1929 et qui plonge notamment le monde rural américain dans une grande misère.
C’est en découvrant cette maison atypique dotée d’une fenêtre supérieure avec des arcs en ogive, que l’on trouve habituellement dans les églises, que l’artiste a eu envie de peindre ce tableau avec le genre de personnes qu’il imaginait vivre à l’intérieur. Le titre American Gothic fait référence au style architectural néo-gothique de cette maison.
“J'avais vu une maison de campagne, blanche et soignée, avec son porche blanc et net - une maison de campagne construite avec des lignes gothiques sévères. Cela m'a donné une idée. L'idée était de trouver deux personnes qui, par leurs traits, s’accorderaient à une telle maison. J'ai regardé autour de moi, parmi les gens que je connaissais dans ma ville natale, Cedar Rapids, dans l'Iowa, mais je n’ai trouvé personne, parmi les fermiers. J’ai finalement incité ma propre jeune sœur à poser en se peignant les cheveux tirés en arrière, avec une raie sévère au milieu du front. Le travail suivant consistait à trouver un homme pouvant représenter le mari. Mon choix s’est finalement porté sur le dentiste local, qui a, à contrecœur, consenti à poser. J'ai commandé, pour ma sœur, à une maison de vente par correspondance de Chicago, le tablier imprimé typique des pionniers ainsi qu'un bleu de travail pour le dentiste. Je les ai fait poser côte à côte, le dentiste tenant avec raideur, dans sa main droite, une fourche à trois dents. La fameuse maison de campagne apparaît à l'arrière-plan.” confiait Grant Wood, dont les propos ont été retranscrits dans une étude de John Evans Seery.
Les deux modèles de peinture sont intéressants. L’homme est le dentiste de Grant Wood, alors âgé de 62 ans, Byron McKeeby. La femme est sa sœur Nan qui a remplacé son choix initial, sa mère Hattie, car il craignait qu’elle ne soit capable de tenir la pose pendant de longues périodes. À l'origine, Wood qualifiait les personnages de sa peinture de mari et femme. Mais, sa sœur s'opposait au fait d'être mariée à un homme plus âgé, même dans une peinture, ainsi le couple devint père et fille.
La fourche est le troisième protagoniste de cette composition. Alors que, dans une situation agricole classique, un fermier tiendrait la fourche vers le bas pour éviter tout accident, ici elle est dressée face au spectateur. Plusieurs interprétations sont évoquées : elle pourrait servir de barrière symbolique pour empêcher le diable d'entrer dans la maison ou représenter une allusion à la sexualité perçue comme déviante dans une société du Midwest teintée de puritanisme. Une autre perspective suggère que cet homme, par ce geste, nous empêche d’entrer, protégeant ainsi les mystères et secrets enclavés dans cette demeure aux rideaux tirés. Une autre interprétation suggère que cette atmosphère sombre, conjuguée au regard préoccupé de la femme en deuil vêtue d'une robe noire, évoque la perte d'une certaine vision de l'Amérique, engloutie par la Grande Dépression.
American Gothic est une peinture techniquement complexe qui se distingue par son sens du détail. Les lignes de la fourche se répètent dans la maison, mais également sur la chemise du fermier et même sur son visage. On distingue des motifs complémentaires sur les rideaux de la fenêtre et sur la robe de la femme. Enfin, derrière la ligne des arbres, on peut discerner la flèche discrète d’un édifice religieux qui fait écho au paratonnerre situé sur le toit.
L’œuvre de Grant Wood a suscité des réactions mitigées. Les résidents de l'Iowa la percevaient comme une représentation caricaturale de la vie rurale, bien que Grant Wood ait toujours réfuté cette interprétation, considérant sa toile comme un hommage à la population rurale du Midwest.
Cependant, au sein du cercle artistique, American Gothic rencontré un succès en demi-teinte : exposée à l'Institut d'Art de Chicago, la peinture a remporté une médaille de bronze et un prix de 300$. En 1934, le magazine Time publie une reproduction en pleine page, contribuant ainsi à consacrer l'œuvre.
Devenu cultissime, American Gothic est sans doute l’oeuvre la plus détournée et parodiée de l’Histoire de l’Art. On retrouve régulièrement des clins d’oeil au fameux tableau sur le petit écran.
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