Dans l'éclat du XIXe siècle bouillonnant de changements, l'artiste révolutionnaire Gustave Courbet a créé une œuvre qui a secoué les fondements mêmes de l'art et de la morale de son époque : L'Origine du Monde.
Plongez dans les mystères captivants de cette toile, explorant son impact culturel, ses scandales et ses révélations.
Qui était Gustave Courbet ?
Gustave Courbet est né en 1819 dans le Doubs dans une famille relativement aisée de propriétaires terriens. A l’âge de 12 ans, il entre au petit séminaire d’Ornans où il étudie l’art entre d’autres disciplines. Il se spécialise dans ce domaine et devient interne en beaux-arts au collège royal de Besançon.
Courbet est l’un des peintres français les plus (re)connus du XIXème siècle. Il a eu une carrière très prolifique puisqu’il est à l’origine de plus d’un millier d’œuvres. Il portait également de nombreuses revendications politiques : il s’opposait à l’académisme artistique, à l’idéalisme et au romantisme. Il était également socialiste comme il le disait lui-même :
« J’accepte bien volontiers cette dénomination. Je suis non seulement socialiste mais encore plus républicain, et en un mot partisan de toute révolution – et par-dessus tout réaliste… Réaliste signifie aussi sincère de la vérité vraie. »
Pour ces raisons, il a été l’un des acteurs de la Commune de Paris en 1871. Après avoir été condamné pour sa supposée participation à des actes violents durant cette période, il s’exile en Suisse et y meurt en 1877 à La Tour-de-Peilz.
Son réalisme a inspiré le naturalisme d’Emile Zola puisqu’ils désiraient tous les deux une représentation fidèle de la réalité. On peut même parler de réalisme socialiste les concernant.
Analyse de L'Origine du monde
Le tableau représente les cuisses, le sexe, le ventre et l’un des seins d’une femme allongée sur des draps blancs. Le commanditaire du tableau est Khalil-Bey, un diplomate d’origine turque et égyptienne. Ce notable était connu dans le milieu de l’art parisien pour sa collection de tableaux en l’honneur du corps féminin.
La peinture représente le sexe féminin de manière avant-gardiste en l’imposant à la vue de tous, sans le dissimuler. On voit notamment cette mise en avant par son emplacement puisqu’il se situe au milieu même du tableau. Ce n’est pas la première fois que Courbet représente des nus féminins ; il en avait même déjà représenté de manière franchement libertine. Toutefois, c’est la première fois qu’il représente le corps de la femme avec autant d’impudeur et de manière si effrontée. Précisément, il savait à quel point le tableau allait choquer ses contemporains.
La censure
Considérée par certains comme une œuvre pornographique, le tableau a longtemps été caché de la vue du public et ce jusqu’à la fin du XXème siècle. L’œuvre a provoqué pendant plus de 150 ans divers scandales. En effet reprenons la chronologie du traitement et du jugement porté sur L’Origine du monde :
de 1866 à 1869, le tableau est recouvert d’un tissu vert, couleur de l’Islam, dans la collection privée du diplomate Khalil-Bey.
En 1870, le diplomate turco-égyptien Khalil-Bey, ruiné et endetté, est contraint de vendre une grande partie de sa collection de tableaux représentants des corps de femmes. Toutefois, il conserve L’Origine du monde qu’il emmène avec lui à Constantinople.
En 1878, L’Origine du monde est utilisée par Maxime Du Camp, un critique d’art conservateur, pour dénigrer les engagements révolutionnaires de Courbet et son implication dans l’insurrection de la Commune de Paris.
En 1889, le tableau est dissimulé derrière un autre tableau de Courbet chez un antiquaire français.
On perd la trace du tableau pendant une durée de 55 ans, il a dû être passé de mains en mains par des marchands d’œuvres d’arts et/ou des antiquaires.
En 1945, le tableau est transféré de la Hongrie à l’Union soviétique.
En 1955, l’œuvre est achetée par le psychanalyste Jacques Lacan qui conserve la pièce dans sa collection personnelle.
En 1988, L’Origine du monde est exposée pour la première fois à New York après être restée dans la collection privée du couple Lacan-Bataille durant 33 ans.
En 1995, le tableau entre enfin dans la collection permanente du Musée d’Orsay à Paris alors qu’il demeure encore peu connu du public européen. Philippe Douste-Blazy, le Ministre de la culture de l’époque, n’a pas souhaité être photographié à proximité du tableau lors de l’inauguration de l’exposition.
Encore en 2011, le site internet Facebook désactivait les comptes des personnes qui postaient une photo du tableau sur le réseau social. Les posts étaient considérés comme du contenu à caractère « pornographique ».
Comme le disait Isolde Pludemacher, conservatrice en chef du département peinture du Musée d’Orsay au journal Le Monde, c’est "l’une des rares œuvres à avoir gardé intact son pouvoir de sidération".
L’Origine du monde, Lacan et la psychanalyse
Ceux qui ont visité l’exposition Lacan au Centre Pompidou-Metz ont pu y voir l’œuvre qui y est exposée depuis le 31 décembre 2023. En effet, le Musée d’Orsay a prêté le tableau au musée d’art contemporain à l’occasion de l’exposition sur le psychanalyste. Comme il est dit dans la chronologie précédente, l’œuvre est achetée en 1955 par Jacques Lacan et sa compagne Sylvia Bataille pour un million cinq cent mille francs.
L’œuvre a été acheté par Lacan et sa compagne puisque le psychanalyste entretenait un lien très fort avec le monde de l’art duquel il s’est inspiré tout le long de sa carrière. Les thèmes de prédilections de Jacques Lacan étaient le sexe, l’amour, le genre, l’identité donc il était évident que L’Origine du monde devait être présente dans l’exposition qui lui rend hommage.
L’une des formules qu’il a développées était « La Femme n’existe pas » puisque selon lui il n’existe pas d’essence de la femme. Ainsi pour Lacan, l’anatomie ne détermine pas le destin féminin puisqu’à ses yeux le genre ne correspond pas forcément au sexe qui nous est assigné à la naissance. De ce fait, la présence dans sa collection d’un tableau représentant une vulve « d’une femme » nous semble évidente.
Toutefois, lorsqu’il fait l’acquisition de l’œuvre, il la fait cacher derrière un tableau peint par son beau-frère André Masson : Terre érotique. L’œuvre de Masson reprend les traits de L’Origine du monde mais sans l’aspect scandaleux de l’œuvre de Courbet. André Masson a fait cela sur demande de Jacques Lacan afin de masquer ce « que les enfants et les voisins pourraient ne pas comprendre ».
N'hésitez pas à aller voir l’exposition Lacan au Centre Pompidou-Metz avant le 27 mai 2024 afin de voir L’Origine du monde !
Qui est la femme sur le tableau ?
En 2013, Paris Match déclarait dans une enquête « On a retrouvé le haut du chef-d’œuvre de Courbet » en dévoilant le soi-disant visage de la modèle de L’Origine du monde. Son propriétaire Johan de la Monneraye déclare que le tableau a été peint en 1866 par Courbet et est nommé L’Extase. L’œuvre représenterait Joanna Hiffernan, la maîtresse de Courbet en 1866 selon ses dires. Johan de la Monneraye avait, à l’occasion de ces révélations, rendu publique une étude d’une centaine de pages prouvant le lien entre les deux œuvres.
Néanmoins, la direction du Musée d’Orsay a répondu : « L’Origine du monde est une composition achevée et en aucun cas le fragment d’une œuvre plus grande ». Différents experts ont analysé les similitudes entre les deux tableaux : coup de pinceaux, matériaux utilisés, date estimée. Toutefois, faute d’incohérence dans les déclarations de certains, cette piste demeure sans fondement.
En 2014, coup de théâtre, à l’occasion de la sortie de son livre L’Origine du monde, vie du modèle, Claude Schopp déclare connaitre l’identité du modèle du célèbre tableau de Courbet après plus de 150 ans de mystère. En effet, Claude Schopp est le plus grand spécialiste d’Alexandre Dumas. C’est en lisant une des correspondances entre Alexandre Dumas fils et Georges Sand qu’il découvre l’identité du modèle : Constance Quéniaux, danseuse et maitresse de Khalil-Bey en 1866. Au moment de la peinture du tableau, elle a 34 ans et n’est plus danseuse depuis 7 ans. Plusieurs photos d’elle ont été conservées et la pilosité noire de ses sourcils semble correspondre à la pilosité du pubis représenté sur le tableau.
Alors que nous achevons notre plongée dans le monde énigmatique de L'Origine du Monde, une chose demeure certaine : cette œuvre audacieuse de Courbet continue de défier les normes artistiques et sociales, suscitant débats et intrigues à travers les siècles. À travers ses mystères persistants, elle nous rappelle l'immense pouvoir de l'art de provoquer, de questionner et de transcender.
La reco du Plug :
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