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Ida B.

Nujabes, l'artiste qui a révolutionné le hip-hop

Bien que l'artiste dont nous allons vous parler aujourd’hui n'est plus parmi nous, sa musique demeure éternelle. Cet article est dédié à la mémoire de Jun Seba, plus connu sous le nom de Nujabes.




Qui était Nujabes ?


Nujabes, né Jun Seba, est une légende absolue du hip-hop. Producteur japonais, il fut le précurseur de nombreux mouvements comme le hip-hop instrumental, le hip-hop abstrait, le jazz hop et bien d’autres encore.


Nujabes, DJ et producteur japonais
Nujabes, DJ et producteur japonais

De nature introverti et extrêmement discret, Jun se renfermait dans la musique, qu’il considérait comme le seul moyen de s'exprimer pleinement. Son public trouvait en lui un moyen de traduire leurs émotions, quelqu'un qui les comprenait à travers la musique. Mais bien que perçu comme un génie parmi ses pairs, Jun disait n’être qu'un "gars normal", un simple passionné de musique.


Au fil de ses projets, les instruments et le rythme prenaient le dessus sur la voix, inversant l'équilibre habituel en faveur d'un langage universel qui transcende les barrières de la langue ou de l'expression. La véritable richesse de ses propositions résidait dans les échantillons qu'il utilisait. En effet, le génie de Nujabes était davantage attribué à son talent de “sampleur” hors pair.


Il étudie la musique dès son plus jeune âge et, en tant qu'enthousiaste, il a rapidement lié sa passion à sa vie professionnelle. A l'âge de 20 ans, Jun ouvre le “Guinness Records”, un magasin de vinyles à Shibuya - épicentre de la culture japonaise moderne. Sans surprise, le magasin avait la réputation d'être LE "spot hip-hop underground" de la capitale, et en fait l'un des rares. Avec sa boutique, il souhaitait créer un espace où n'importe qui pouvait venir se couper du monde, pour s'installer dans une atmosphère intemporelle et écouter le meilleur de la musique, un espace de partage unique pour les passionnés.


Guinness Records, Shibuya, Tokyo (Japon)
Guinness Records, Shibuya, Tokyo (Japon)

En tant que disquaire, il développe une culture musicale peu commune. Il accède à toute une collection de disques underground, de tous les styles et de toutes les époques. En effet, il a la chance de pouvoir importer tous ces trésors à une époque où Internet n'existe pas encore, et où il était donc très compliqué d'élargir ses horizons. Par conséquent, sa relation avec la musique était très différente de celle des autres producteurs ou DJ de l'époque, avec des goûts subtils et une connaissance de la musique qui lui permettait de créer des instrumentaux que personne d'autre n'avait encore eu l'audace de produire !


Alors que la tendance penchait vers un rap très technique, gangster ou commercial, Nujabes choisit un chemin différent. Il aimait les vieux disques de jazz, de soul, de funk, de disco, et même de musique brésilienne. Il écoutait un maximum de disques, du plus classique au moins connu, et multipliait ainsi ses influences. Il sélectionne les meilleurs samples parmi ses disques préférés, certains parmi les plus rares, pour les distiller dans sa vision du hip-hop et créer quelque chose de nouveau. Et rarement quelqu'un ne s’est aussi bien réapproprié la musique que lui ! Il empreinte les codes de la production rap des années 90 qu’il applique à des samples vieux de 10, 20... voire même 50 ans. Son premier son n’est autre qu’un remix de "One Love" de Nas. À l'époque, personne ne se souciait des droits d'auteur semble-t-il.


"Il avait fait un bootleg de "One Love" de Nas", c'est ce que son frère m'a dit. Il l'a pressé sur vinyle et l'a jeté dans les bacs, pour que les gens à la recherche de Nas, qui était l'un des meilleurs artistes de l'époque, tombent sur ce disque étrange se demandant "mais... qui est Nujabes ?", sans même savoir que c'était le propriétaire du magasin" confiait Pase Rock, rappeur et ami de Nujabes, dans une interview menée par Jeff Kim.


Avec les dizaines de millions d'habitants de Tokyo, presque autant de clients potentiels pour le magasin, sa stratégie s’avère payante. Il se fait connaitre et commence réellement à produire notamment cette même année, avec un album de 36 titres intitulé "Sweet Sticky Thing". Ce premier projet est une compilation de ses mix basée sur des samples aussi rares qu'exceptionnels. La mixtape est considérée comme le Graal parmi les collectionneurs de hip-hop underground, compte tenu de sa sortie extrêmement limitée, à Tokyo et sur cassette uniquement sur cassette.


À force de travail et de nombreuses collaborations, Nujabes s'est rapidement fait un nom sur la scène underground de Tokyo. Une scène petite mais prometteuse, qui l'a incité à créer son label indépendant Hydeout Productions, en 1999. Funky DL devient le premier artiste signé sur ce label, un rappeur que Nujabes est allé chercher jusqu'au Royaume-Uni, et qui sera l'un de ses plus grands collaborateurs. Dans la foulée, il rencontre plusieurs MCs underground talentueux qu'il signe également, qu’ils soient japonais ou américains, parmi lesquels le célèbre Substantial.


"J'ai rencontré Jun par l'intermédiaire d'un ami rappeur : "Sphere Of Influence". Quand il est revenu du Japon, il a eu un contrat dans le magasin de disques de Jun, mais c'était avant que tout le monde sache vraiment qui était "Nujabes". En même temps, il lui a fait écouter une mixtape sur laquelle je figurais. Le truc suivant que je savais, c'est que Jun m'appelait de nulle part, comme il le faisait avec tout le monde. Au début, j'ai pensé que c'était une blague, l'homme à l'autre bout du fil avait un accent très fort, et j'ai plein d'amis qui m'ont déjà fait ce genre de blagues avant", confiait Substantial à Jeff Kim.


Par la force des choses, une alchimie musicale se crée et Substantial finit par signer chez Hydeout Productions. En 2000, Nujabes offre un billet d'avion au rappeur pour le rencontrer en personne et travailler sur le projet "To This Union, A Sun Was Born" de Substantial. Cet album fut le premier pas d’une relation étroite entre les deux artistes. Substantial parle lui-même de 30 à 40 morceaux enregistrés, dont plus de la moitié n'ont malheureusement jamais été publiés. Les deux artistes sont rapidement devenus amis. A travers des interviews, Substantial livre de nombreuses anecdotes sur leur vie quotidienne :

"Jun était un grand amateur de cuisine... Chaque fois qu'il trouvait un bon endroit pour manger, il m'y emmenait. Nous allions plusieurs fois par semaine dans un restaurant appelé le "Bowery Kitchen", et on adorait cet endroit. Bien manger, partager un repas... ça faisait complètement partie de notre processus créatif !"


À travers cette anecdote, on ne peut s'empêcher de voir un lien avec la mixtape "Ristorante", dont le sous-titre explique que créer de la bonne musique, c'est comme cuisiner un bon repas. Une mixtape sortie en 2002 sur le thème de la cuisine, mélangée à des instruments doux et un rythme relaxant. Le partage était une valeur très importante pour Jun, reflétant un aspect clé de la musique de Nujabes. D’ailleurs, l’artiste incorporait beaucoup de sa personnalité dans sa musique, avec des intérêts qui résonnent avec ceux de ses auditeurs.




Metaphorical Music


Alors que Nujabes s’essayait à différents styles avant de créer son propre label et de collaborer avec différents artistes, "Metaphorical Music" contient les prémices de sa ligne directrice. Cet album parait en 2003, de la volonté de Jun à mettre en avant les artistes de son label. On y retrouve donc logiquement Pase Rock et Substantial, ainsi que des groupes comme CYNE et Five Deez mais surtout un personnage qui deviendra très important pour Nujabes à l'avenir : Shing02.




A travers "Metaphorical Music", Nujabes démontre qu'il est possible de mélanger la sérénité du jazz et des instruments traditionnels japonais avec le rythme et la robustesse du hip-hop. Le producteur et DJ Japonais a rapidement appris à évoquer des images avec seulement quelques notes, nous enveloppant dans ses mélodies et nous transportant avec des lignes de piano qui complètent la symphonie. "Indescriptible" est probablement le meilleur mot pour décrire les productions de Nujabes.


Bien qu'ayant une part importante dans la tracklist, les rappeurs présents sur le projet ne font qu'ajouter à l'immersion globale de l'album avec leurs flows se fondant dans l'atmosphère éthérée et sensuelle de l'album - une "puissance douce" qui décrit parfaitement le projet. “Metaphorical Music” donne aux artistes de Hydeout Productions une exposition et une chance d'expérimenter auprès d’un public qui ne les avait à peine entendus auparavant, tout en ajoutant une authenticité à l'aspect underground du projet.




Nujabes se distingue une fois de plus par l'utilisation de samples incroyables de Pharoah Sanders, Miles Davis, Baden Powell ou même Francis Lai, qui laissent évidemment une empreinte indélébile sur l'album. "Metaphorical Music", aux allures de montagne russe, est un premier projet plus que réussi. Nujabes créé une toute nouvelle tendance musicale. La presse l'acclame et le décrit comme "prodige". Le succès de cet album marque un tournant dans l’histoire de la musique. Les producteurs étaient enfin considérés comme des artistes à part entière, inspirant et même créant des carrières !




Le génie du sample


Le succès de "Metaphorical Music" a ouvert la voie à une carrière florissante pour Nujabes, et il a continué à travailler sur de nombreux projets au fil des années.


En 2004, son génie brille à travers la bande originale de “Samurai Champloo”, un anime japonais. Bien qu'il ne soit pas le seul derrière cette imposante bande sonore, il signe néanmoins ses pièces maîtresses : l'ouverture, "Battlecry" et le générique, "Shiki no Uta", cette dernière étant un joyau intemporel. Nujabes a certainement créé les passages les plus beaux de cette bande sonore. Au-delà de la qualité de l'anime, c'est un succès commercial et critique total. "Samurai Champloo" a bercé les amateurs de hip-hop avec une affection pour les animes. Cependant, le hip-hop était une première pour le réalisateur Shinichirō Watanabe. Bien qu'il ne soit pas un grand fan du genre, il était déterminé à faire fonctionner ce mélange inhabituel sur lequel il avait imaginé son univers, son histoire et ses personnages.



"Aruarian Dance" s’inscrit dans un héritage musical de plus de 100 ans ! Le sample utilisé dans ce morceau est extrait du titre "The Lamp is Low" de Laurindo Almeida, sorti en 1969 et qui est en fait une reprise de la chanson de Peter DeRose et Bert Shefter, sortie en 1939, et popularisée par la chanteuse Mildred Bailey. Ce titre est lui-même adapté d'une composition classique de 1899, écrite par le compositeur français Maurice Ravel, "Pavane pour une infante défunte".



Après avoir travaillé sur "Samurai Champloo" et côtoyé Fat Jon dans la création de la bande originale, Nujabes a commencé à apprendre à jouer différents instruments. Il s’essaye à la trompette, au piano, au saxophone mais surtout à la flûte. Il se perfectionne rapidement aux côtés de son collègue producteur et génie du jazz : Uyama Hiroto.


L’année suivante, Nujabes produit "Modal Soul", son second album et chef-d’oeuvre incontesté. Cet album marque un véritable changement de cap pour Nujabes, avec plus d'influences et plus de prises de risques. Le jazz est prédominant sur l'album, avec des samples d’artistes légendaires comme Yusef Lateef ou Chet Baker. Il incorpore également des éléments du groupe de rock progressif Gypsy, de la chanteuse brésilienne Nana Caymmi ou encore de la compositrice Noriko Kose. Ce projet lui vaudra d’ailleurs le surnom de “Maître du Sample”.


Avec "Modal Soul", Nujabes confirme son identité musicale, mêlant habilement hip-hop, jazz et musique électronique. Souvent décrite comme apaisante, sa musique est méditative et pleine de chaleur.




Luv(Sic)


Malheureusement, la carrière de Nujabes s’interrompt tragiquement en 2010, lorsqu'il décède dans un accident de voiture à l'âge de 36 ans. Malgré cet événement tragique, le souvenir de Nujabes a continué à vivre à travers sa musique bien sûr, mais aussi grâce à tous les artistes qui l'entouraient, en particulier Shing02 avec l'hexalogie “Luv(Sic)”.


L'hexalogie Luv(Sic) est une entité rare non seulement dans la scène hip-hop japonaise, mais aussi en général. Cette série en six parties, s'étendant sur plus de 10 ans, a résisté à l'épreuve du temps et est devenue l'une des collaborations les plus passionnantes de la scène hip-hop instrumental.

Dans cette série, dont les thèmes évoluent autour de l'amour, de la fraternité, de la vie avant tout, on retrouve un flow précis et expérimenté, des paroles profondes, des scratch rythmants et une utilisation toujours aussi intelligente des samples et des instruments. Une alchimie rare et pure.



Les trois premiers morceaux de la série sont publiés du vivant de Nujabes. Les instrumentales des épisodes 4 et 5 étaient prêtes mais Shing n'avait pas eu le temps de poser dessus, et ont été publiées après la mort de Nujabes. La prod de la sixième partie a été retrouvée sur le téléphone de Nujabes, juste après l'accident. Toute son équipe a travaillé pour terminer et peaufiner cette dernière pépite, afin de donner l'opportunité à Shing02 d'enregistrer le dernier épisode, et ainsi boucler la boucle. Ainsi, le 26 février 2013, exactement 3 ans après la mort du producteur, “Luv(Sic) part 6” est publié sur YouTube. Un hommage à Nunjabes qui agit comme un adieu, un clap de fin qui rend le son d’autant plus émouvant.


"Nous savons tous que l'amour peut nous rendre malade. Cet amour réel qui bouleverse notre monde est un sentiment qui peut nous transformer, nous rendre impuissants ou nous faire crier de toute notre âme. L'amour défie la raison, il frôle la folie et la spiritualité, et parfois, contre toute attente, l'amour serait capable de nous pousser à créer quelque chose qui nous marquera toute notre vie... C'est le message global que j'essaie de transmettre à travers la série Luv(Sic), parmi d'autres thèmes plus subtils et ma relation fraternelle avec Nujabes représente plutôt bien ce message...” exprimait Shing02.







Nujabes était bien plus qu'un simple producteur de musique. Il était un visionnaire, un innovateur et un artiste qui a su repousser les limites du hip-hop et de la musique en général. À travers sa musique, il a su capturer l'essence même de l'émotion humaine et exprimer des sentiments profonds d'une manière qui résonne avec chacun de nous. Sa mort prématurée a été une perte immense pour l'industrie musicale, mais son héritage perdure à travers sa musique intemporelle.

Son œuvre continue d'inspirer et de toucher les cœurs de millions de personnes à travers le monde, et son héritage perdurera à jamais. Que sa musique continue de nous apporter paix, réconfort et inspiration pour les années à venir.

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