Deux années après le premier opus de sa trilogie "Renaissance", Beyoncé a révélé lors de sa publicité au Super Bowl son prochain album, "Cowboy Carter" (jusqu’ici connu sous le nom de "Renaissance : Act II"), prévu pour le 29 mars 2024.
L'une de ses derniers singles, "Texas Hold ’Em", a décroché la première place du classement Hot Country Songs de Billboard. Beyoncé devient ainsi la première femme noire à occuper cette position.
Retour sur l’histoire de la country, et l’importance de la trilogie Renaissance.
La country, une musique blanche ?
L'annonce du nouvel album de Beyoncé, qui s'aventure dans le territoire de la country après son titre "Daddy Lessons" en 2016, revêt une portée politique. Elle cherche à rétablir l'image du cow-boy, traditionnellement associée à la blancheur, dans un contexte de réappropriation culturelle et de diversité.
Avec “Cowboy Carter”, Beyonce ouvre la conversation sur le rôle des artistes noirs dans les origines de la musique country. Les vives réactions suite à l’annonce de l’album sont révélatrices du racisme sous-jacent à l'industrie de la musique country depuis les années 1920 et 1930. L’industrie est tellement gardée qu’elle ne peut tolérer l’entrée d’une femme noire - bien que née et élevée à Houston, Texas.
A la sortie des singles “Texas Hold ‘Em” et “16 Carriages”, certaines stations de musique country aux États-Unis, comme la KYKC d'Oklahoma, ont refusé de diffuser les nouvelles chansons en disant à un fan qui les demandait : "nous ne diffusons pas Beyoncé car nous sommes une station de musique country." Une pétition, réunissant plus de 28 000 signatures, a alors permis de diffuser ces chansons sur les stations de musique country.
Sur la toile, le rappeur Lil Nas X a plaisanté à propos de l'annonce du nouvel album de Beyoncé : "Elle finira par me rendre mon chapeau de cow-boy." Cette remarque résonne avec la révolution musicale initiée par Lil Nas X avec son tube "Old Town Road" en 2018, fusionnant pop, hip-hop et country, tout en déconstruisant les stéréotypes traditionnels du cow-boy noir et queer. Son succès a été terni par le Billboard, qui a retiré la chanson des classements country, invoquant un manque de conformité au genre. Ce n'est que lorsque Billy Ray Cyrus, qui a déclaré que la chanson initiale était évidemment country, a posé sur le remix de la chanson qu'elle a réintégré les classements country. Une décision controversée largement perçue comme teintée de racisme.
Les racines de la musique country
Au-delà du regain d’intérêt pour la musique country, Beyoncé puise dans une histoire cachée : les immenses contributions des artistes noirs à la musique country, souvent négligées. Le genre, perçu à travers le prisme des traditions ouvrières blanches, est imprégné d'influences afro-américaines, depuis le banjo - un instrument aux racines africaines distinctes - jusqu'aux techniques et innovations que les musiciens noirs ont apportées aux fondements de la country il y a des siècles.
Transportés par les esclaves vers les Caraïbes colonisées, les premiers banjos, connus sous le nom de "banjar" ou "bangie", offraient réconfort et suscitaient la solidarité au milieu de la cruauté insondable des liens de plantation. Souvent fabriqués avec des calebasses sculptées et de la peau d'animal, ces banjos rudimentaires ancrés dans les rituels musicaux et les danses ancestrales nourrissaient la survie spirituelle et la résistance sous le poids infini des atrocités humaines.
Au XIXe siècle, le banjo occupait une position contradictoire entre appropriation blanche et résilience noire. Les artistes de minstrel - spectacle américain raciste où figuraient chants, danses, musique et intermèdes comiques, interprétés par des acteurs blancs en blackface - ont alimenté une "folie du banjo" nationale en exploitant des stéréotypes racistes. Ils ont adopté une instrumentation d'origine africaine pour vendre des représentations dégradantes devant un public blanc, enracinant davantage le préjugé pernicieux dans le tissu culturel.
Au début du XXe siècle, la musique country commerciale naissante qui est devenue extrêmement populaire devait beaucoup aux musiciens noirs comme Arnold Shultz, un guitariste innovant qui a profondément influencé le son bluegrass "High lonesome" de Bill Monroe, ou encore Lesley Riddle, qui a influencé les tubes de la Carter Family qui imprègnent encore les ondes de la country.
DeFord Bailey, la première star noire de la scène prestigieuse du Grand Ole Opry de Nashville, a enchanté les auditoires avec sa maîtrise de l'harmonica qui incarnait le blues country. Son licenciement soudain de l'Opry en 1941 reste une tache sur la musique country. Le genre s'est vite refermé, excluant certaines personnes en fonction de leur couleur de peau. En blanchissant les origines multiculturelles vibrantes de la country au milieu du XXe siècle, l'industrie a privé des pionniers comme Arnold Shultz et DeFord Bailey de la reconnaissance qu'ils méritaient tout en refusant aux futurs artistes noirs l'accès aux classements et aux grandes scènes. Cet héritage brutal hante encore aujourd'hui la musique country.
Avec “Cowboy Carter”, Beyoncé renoue avec le passé oublié du country. Son travail aux côtés de Rhiannon Giddens, une brillante artiste contemporaine axée sur la découverte des lignées noires cachées du country et de la folk, semble riche de sens.
Renaissance, la trilogie de la réappropriation culturelle
Avec Renaissance : acte I, Beyoncé réaffirmait le rôle des personnes noires queer et trans dans la musique électronique des débuts. Cet album s'inspire de la house, du disco et de la musique bounce, des genres qui renvoient à la culture underground de la ballroom des années 1970. En mettant en lumière la façon dont la queerness a ouvert la voie à la musique dance noire, Beyoncé rend hommage à l'aspect familial représenté par les mères, pères et enfants des “House” dans les scènes de ballroom. Une véritable ôde à l'amour et l'inclusivité inhérents à la culture noire, selon Omise'eke Tinsley, professeure d'études noires à l'Université de Californie à Santa Barbara.
Maintenant que “Cowboy Carter” est désormais reconnu comme l'Acte II, de nombreux fans envisagent que Beyoncé entreprenne une démarche de réappropriation culturelle audacieuse. À travers trois albums distincts, l’artiste rend hommage à l'héritage noir profondément ancré dans des genres musicaux aujourd'hui souvent associés à une identité culturelle blanche. Avec ce projet ambitieux, Beyoncé met en lumière l'influence et la contribution des artistes noirs à des genres tels que la house, la country et le rock, réaffirmant ainsi l'importance de la diversité et de l'inclusivité dans le paysage musical contemporain.
Le titre “Cowboy Carter” semble être un clin d'œil à l'histoire noire de la musique country. En effet, la famille Carter est considérée comme la "Première famille de la musique country" et son succès est dû à l’illustre guitariste Lesley Riddle. D’ailleurs, Carter est également le nom d’épouse de Beyoncé, donc tout cela se combine parfaitement.
Avec cette trilogie audacieuse, Beyoncé initie une véritable réappropriation culturelle. Avec "Cowboy Carter", prévu pour le 29 mars prochain, elle explore les racines profondes de la musique country tout en réaffirmant la présence et l'influence des artistes noirs dans un genre souvent associé à une culture blanche.
Au-delà de la musique, cet album promet d'être un véritable manifeste pour la diversité et l'inclusion, un rappel poignant de l'héritage noir qui imprègne chaque note et chaque rythme. Beyoncé continue ainsi de repousser les limites de l'art et de la représentation, ouvrant la voie à une nouvelle ère de créativité et d'expression authentique.
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