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Anais T.

Décryptage : L'étranger (1942)

Classique de la littérature française, prix Nobel de littérature, troisième roman francophone le plus traduit dans le monde, mais que nous dit L’étranger de Camus sur la vie de son auteur et sur l’Algérie française ?

Cet article invite les lecteurs à revisiter ce classique avec les yeux d’aujourd’hui.




Qui était Albert Camus ?


Albert Camus était un écrivain, essayiste et journaliste français. Il est né en 1913 à Mondovi en Algérie coloniale française dans une famille pied-noir d’origine alsacienne. Camus est issu d’une famille modeste avec un père ouvrier agricole qui mourra alors qu’il n’a qu’un an et d’une mère femme de ménage. Camus est élevé par une grand-mère violente alors que sa mère travaille beaucoup pour subvenir aux besoins de sa famille. De cette enfance très pauvre, il en tire des idéaux humanistes et adhère même à l’idée de la lutte des classes.



Durant sa scolarité à l’école primaire, un instituteur, Louis Germain, repère le jeune Albert pour ses talents littéraires. Grâce à lui, il passe un concours des bourses de l’enseignement secondaire, le réussit et entre au lycée Mustapha d’Alger. Suite à cela, il obtient un diplôme d’études supérieures à l’université de philosophie d’Alger. En 1942, il sort son premier roman L’étranger, édité la même année par la maison Gallimard.


Durant l’Occupation, il s’engage dans la Résistance française et devient en 1943, le rédacteur en chef du journal Combat. Son expérience de la guerre, lui fait développer un humanisme sceptique et lucide qui se fonde sur la conscience de l’absurdité de l’existence. On associe ainsi souvent l’œuvre de camus à la philosophie de l’absurde et aux réflexions sur la condition humaine. En 1957, il reçoit le Prix Nobel de littérature pour L’étranger et il dédie son discours de remise de prix à Louis Germain, l’instituteur qui l’a élevé comme un père. En 1960, Camus est victime d’un accident de voiture à Paris et décède à l’âge de 46 alors qu’il était au sommet de son succès.




Analyse de l'oeuvre


Le roman raconte les évènements qui surviennent dans la vie du narrateur, Meursault, après le décès de sa mère. En effet, alors que sa mère est à l’asile depuis qu’il n’arrive plus à subvenir à ses besoins de sa mère, elle décède de vieillesse. On se rend tout de suite compte de la singularité du personnage principal qui semble apathique face à cette découverte. On suit le narrateur dans son début de relation amoureuse avec Marie, une anti-Meursault, pleine de joie et d’amour à lui montrer. Lors d’une promenade au bord de la plage avec le voisin de Meursault, Raymond, et son ami, Masson, Raymond est blessé au couteau par un « arabe » * puisque Raymond s’était montré violent avec la sœur de celui-ci. Quelques heures plus tard, Meursault retourne sur la plage où il y trouve une nouvelle fois les « arabes » et accablé par la chaleur du soleil tire à cinq reprises sur celui qui a blessé Raymond.


La seconde partie du roman est consacrée au procès de Meursault. On voit que tout le long du procès il n’est pas forcément question de la mort de cet « arabe » mais plutôt de l’insensibilité ou non de Meursault face au décès de sa mère. En accord avec le réquisitoire du procureur, Meursault est condamné à la peine de mort, il sera guillotiné sur la place publique. Les dernières pages du livre sont consacrées aux pensées d’un condamné à mort, qui ne présente aucun regret pour son crime et à qui Marie ne manque manifestement pas. Il reste également insensible à la visite de l’aumônier avant son exécution. Le livre se termine sur son souhait que beaucoup de personnes soient présentes à son exécution.



Le contexte de l’écriture du roman


L’étranger a été écrit au début de la Seconde Guerre mondiale. Les réactions absurdes de Meursault sont alors à mettre en relation avec les atrocités subies pendant la guerre. La situation de Meursault, cet homme ordinaire condamné à mort, nous renvoie une image pessimiste de la condition humaine. Le roman fait écho à la révolte ressentie par Camus durant cette guerre et les souffrances qu’elle inflige, qu’il considère absurdes. C’est pourquoi, comme on l’a déjà dit, il entre dans la Résistance française face à l’occupant afin de défendre les libertés humaines.


Le roman est également rédigé alors que les aspirations nationales algériennes sont grandissantes. En effet, depuis 1830, l’Algérie est une colonie de peuplement française et la France y exerce une domination économique et culturelle. Après la Première Guerre mondiale, un mouvement national algérien se constitue et le Parti communiste algérien est créé en 1936. Camus en sera membre durant une courte période. Il assiste aux injustices subies en Algérie et cela impacte également son œuvre.



Mais c’est qui « L’étranger » ?


Deux écoles différentes nous répondent :

La première déclare que l’étranger c’est Meursault. En effet, par son apathie et son indifférence, Meursault nous semble étrange et même étranger. Il nous est étranger puisque l’on voit que ses pensées ne sont pas logiques. Enfin Meursault est étranger à sa propre existence. Il agit sans réellement savoir pourquoi et ne semble pas avoir de reculs sur ses actions. On voit également de sa part des difficultés à reconnaitre ses sentiments.


La seconde école nous dirait que l’étranger c’est « l’arabe ». En effet, le roman est écrit du point de vue des algériens européens et les « arabes » ne sont jamais nommés et ne parlent pas. Dans sa chronique sur France Inter du 27 septembre 2023, l’auteur Arnaud Viviant nous dit que L’étranger est un « chef d’œuvre où les arabes n’ont pas de nom ». De plus, les « arabes » sont uniquement perçus avec méfiance. Le substantif « arabe » est employé 24 fois dans le livre et s’utilise pour désigner de manière interchangeable hommes et femmes algériens. On voit avec les scènes du procès que Meursault n’est pas vraiment condamné pour avoir tué un algérien (aucun détail personnel n’est indiqué sur la victime) mais d’avantage pour avoir tué moralement sa mère en ne la regrettant pas assez.



Pour finir, faut-il « oublier Camus » ?


En septembre 2023, l’universitaire Olivier Gloag a sorti son livre Oublier Camus aux Editions La Fabrique. Dans son interview pour le média Hors-Série, il indique que Camus « c’était un petit blanc, colon ». Il précise son propos et nous dit que l’auteur « a cette conscience de classe mais qui est ancrée dans son statut de blanc supérieur aux algériens ».



Dans le livre, l’universitaire nous parle de la position de Camus vis-à-vis du colonialisme et de sa dispute avec Sartre. En effet, en 1951, Camus publie l’essai L’homme révolté (et Les Justes) qui fait une critique du stalinisme et de l’Union Soviétique. Beaucoup ont pensé que c’était la raison de la dispute avec Sartre mais en réalité ce sont les positions complaisantes avec la colonisation de Camus qui vont être à l’origine de la crise. Camus a une position ambiguë sur l’Algérie française :  elle se résume avec cette citation : « J’admets le poids de la misère sous lequel sont maintenus les indigènes, je la dénonce, mais la solution à mes yeux ne passe pas par une Algérie algérienne. » Il souhaite en effet créer une sorte de « Commonwealth français ».


Dans un second temps, Olivier Gloag nous parle du rapport de Camus avec les femmes. Tout d’abord, Simone de Beauvoir raconte dans ses mémoires qu’a la publication du Deuxième sexe, Camus l’avait accusé de « ridiculiser le mâle français ». De plus, en 2017, les correspondances entre Camus et sa maîtresse Maria Casares sont publiées dans un livre. La jalousie maladive de Camus saute aux yeux des lecteurs et il déclare même dans l’une de ses lettres « Celui-là qui n’a pas rêvé d’une prison perpétuelle pour celle qu’il aime. »



Kamel Daoud, Meursault contre-enquête 


En octobre 2013, l’auteur algérien Kamel Daoud rend hommage à Camus en sortant le livre Meursault contre-enquête, aux éditions Barzakh et Actes Sud. Le livre se veut une réécriture postcoloniale de L’étranger. Le roman redonne des noms aux « arabes » et les fait même parler puisque le narrateur est le frère de l’« arabe » tué par Meursault. Dans le livre, le personnage principal regagne sa capacité d’agir et de raconter sa version des faits. Il a également l’occasion d’honorer la mémoire de son frère et de le présenter au lecteur puisque cela n’a pas été fait dans L’étranger de Camus. Enfin, Kamel Daoud a délibérément pris le soin de brouiller les pistes pour que le lecteur confonde sans le faire exprès Meursault et Camus. Pour toutes ces raisons, Meursault contre-enquête a obtenu le prix Goncourt du premier roman en 2015.


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