Laissez-vous entraîner dans le tourbillon artistique de Diego Vélasquez, une figure éminente du XVIIème siècle espagnol, et plongez dans l'analyse de son chef-d'œuvre énigmatique, Les Ménines.
Qui était Diego Vélasquez ?
Né en 1599, Diego Vélasquez est un artiste espagnol aux origines paternelles portugaises qui a grandi dans la petite noblesse de Séville, alors la ville la plus importante d’Espagne. Naturellement doué, son apprentissage technique et esthétique de la peinture se fait auprès d’ateliers locaux au cours de sa jeunesse jusqu’à intégrer la corporation des peintres de Séville à sa majorité.
Les thèmes et techniques auxquels il s’emploie alors sont novateurs dans sa région natale et font le propre de son style. Bien qu’il réalise de nombreuses œuvres religieuses pour satisfaire sa clientèle d’ecclésiastes sévillans, Vélasquez excelle dans les natures mortes et le réalisme de relief et de textures grâce au travail de la lumière auquel il accordera toujours une importance. Ses œuvres sont mimétiques de la nature en opposition à d'autres types de représentation plus idéalisée, stylisée ou symbolique.
Nommé peintre du roi Philippe IV à seulement 24 ans, Vélasquez ira s’installer à Madrid pour accomplir sa mission. Quatre ans plus tard, il obtient le poste le plus important parmi les peintres royaux : peintre de la Chambre du roi. Au cours de sa carrière il sera également surintendant, chargé de l’organisation de la collection royale. Son œuvre, composée majoritairement de portraits du roi, de sa famille, des grands d’Espagne ainsi que des toiles destinées à décorer les appartements royaux s’inspire du style italien baroque qui l’a marqué au cours de ses voyages en restant réaliste et en insistant avec le clair-obscur.
Diego Vélasquez est aujourd’hui largement considéré comme l'un des plus grands peintres de l'histoire de l'art espagnol et européen. Il aura notamment inspiré les impressionniste comme Manet qui dira de lui qu’il était le « peintre des peintres » et même le « plus grand peintre qui ait jamais existé ».
L’influence baroque
Courant artistique émergeant du 17e siècle en Europe, le baroque est considéré comme un style qui assume son exubérance. Accumulation des personnages, couleurs marquées et contrastées ainsi que les riches décors en font un style assez remarquable. Les artistes baroques ont cherché à capturer la grandeur et la complexité de la vie à travers des compositions chargées de symbolisme et de mouvement.
Analyse de l’œuvre
L'un des chefs-d'œuvre les plus énigmatiques de l'histoire de l'art, Les Ménines de Diego Velásquez, est une huile sur toile qui défie les conventions et intrigue depuis des siècles. Cette œuvre, souvent décrite comme l'apogée de la carrière de l’artiste, est empreinte d’un mystère, celui de sa signification. En effet, de nombreuses interprétations lui sont prêtées et pourtant, l’énigme subsiste toujours. Un phénomène tellement déroutant qu’il a été théorisé par l’historien de l'art de Vélasquez, Jonathan Brown, comme étant Las Meninas Fatigue Syndrome (LMFS), à traduire le "Syndrome de la Fatigue devant Les Ménines" de par sa nature à étourdir le spectateur et les analystes, non seulement de par la richesse des éléments figurés sur la toile (décors, personnages, etc.) mais également par l’immersion dans la multitude d'éléments et d'actions se déroulant simultanément dans cette représentation.
« Peu de tableaux dans l’histoire de l’art ont donné lieu à des interprétations aussi nombreuses et variées que celui-ci, l’œuvre culminante de Velázquez », écrit J. Brown
La composition
La toile présente une galerie de neuf personnages, onze si l'on compte le portrait royal en fond. L’usage de la perspective ainsi que la lumière permettent de découper les scènes et de mettre en avant certains personnages. En effet, plutôt que leur place et leur rang dans le tableau, c’est l’attention qui leur est portée qui souligne l’importance d’un protagoniste plutôt qu’un autre. Alors que l’on est spontanément tentés de voir la jeune Marguerite-Thérèse, Infante d’Espagne (1), comme personnage central, le titre même du tableau, Les Ménines (soit "les dames d'honneur") remet en question cette valorisation.
Deux types de dames d’honneur sont représentées ici. Il y a d’abord Doña Isabel de Velasco (2), qui se penche pour la révérence et Doña María Agustina Sarmiento de Sotomayor (3), qui offre un búcaro (vase) sur un plateau doré à la princesse. Elles sont toutes deux à son service et symbolise l’image classique des demoiselles de compagnie. En contraste, à droite de la toile sont présents deux personnages (4 et 5) qui peuvent susciter l’attention. Ils s’agit de deux ménines qui sont elles, atteintes de nanisme ainsi qu’un chien avec lequel l’une d’elles joue.
En arrière, on peut apercevoir la Doña Marcela de Ulloa (6), religieuse chaperon de la princesse, vêtue d’une robe de deuil qui s’adresse à un garde (7).
Au dernier plan, un homme mystérieux semble observer la scène, il s’agit de Don José Nieto (8) Velázquez, le gentilhomme chargé du service de la chambre de la reine.
Autre homme énigmatique, le peintre lui-même, Velázquez (9), est représente en train de peintre une grande toile. Sur sa poitrine se trouve la croix rouge de l’ordre de Santiago, distinction qu’il n’a reçue qu’en 1659, trois ans après l’achèvement du tableau. C’est le roi Philippe IV qui a ordonné qu’elle soit ajoutée après la mort de l’artiste afin de lui rendre honneur.
Finalement, un cadre sur le mur du fond reflète le haut du corps et la tête de deux personnages identifiés comme étant le roi Philippe IV (10) et sa reine Mariana (11).
Interprétations
Il semblerait finalement que la jeune princesse placée au centre soit le personnage le moins intéressant de la scène. Du moins, c’est celle qui confère le moins d’intrigue. Jolie enfant dans ses habits royaux distingués, elle nous apparaît presque comme une poupée de cire, parfaitement soignée et dans son rôle passif, elle pose pour le spectateur. Cette idée peut être renforcée par le fait que l’œuvre ne porte même pas son nom.
Cependant, les ménines sont également dans un rôle de passivité. Certaines de par leur position de soumission et de dévotion à l’Infante d’Espagne, les autres, naines, simplement réduites à ce fait. En effet, les nains étaient présents à la cour d’Espagne comme objet de compagnie et source de divertissement, comme les bouffons, ils amusaient la cour. Méprisés de la société et ne rentrant pas dans les critères de beauté, ils étaient censés, par un effet de contraste, souligner la beauté et la noblesse des membres royaux. À noter d’ailleurs, qu’ils sont rangés avec le chien, seul animal présent dans la scène.
La présence du couple formé par la chaperonne et le garde nous rappelle dans cette toile l’importance de la religion catholique, au centre absolu d’une cour royale européenne de cette époque ainsi que le pouvoir militaire et autoritaire de la famille. La royauté exerce son pouvoir de droit divin, ils rappellent donc à l’ordre de leurs hautes fonctions, notamment la surveillance et la protection de Marguerite-Thérèse. Le chambellan de la reine accomplit aussi cette fonction. Ces éléments sont deux gardes-fous de ce principe particulièrement symbolique. Ce sont finalement peut-être parmi les composantes les plus classiques à retrouver ici. Ainsi avec ce tableau c’est comme si, on retrouvait des codes du portrait royale typique tout en nous montrant les coulisses, les secrets de la cour espagnole.
L’énigme irrésolue du portrait royal
La présence du couple royal, le roi Philippe IV et la reine Mariana, en arrière-plan sur les murs, au milieu d’autres tableaux que l’on ne voit pas mais dont on peut deviner qu’ils sont des portraits royaux peut faire penser qu’il s’agit aussi d’un tableau. Or, l’interprétation que l’on retient en vérité est qu’il s’agit en fait d’un miroir. Ceci met en perspective toute la scène qui prend alors une toute autre dimension. Avec la présence du peintre face à nous et le couple qui serait finalement devant la scène, presque à la place du spectateur, on comprend que Vélasquez dresse le portrait du roi et de la reine d’Espagne. Cette mise en scène innovante confère ainsi une dimension de double portrait royale (le couple et la princesse) presqu’à la manière d’un trompe l’œil. Cette dualité crée par ailleurs une tension intrigante dans l'interprétation de l'œuvre, peut-on penser à une scène qui évoque la relève, le futur de la royauté espagnole, comme une initiation à un exercice (celui de poser) ? De plus, le choix inhabituel de situer la scène dans l'atelier du peintre plutôt que dans un décor pour une mise en avant plus avantageuse ajoute une dimension supplémentaire à cette énigme ; cela nous amène à imaginer un éventuel décor devant lequel poseraient Philippe IV et la reine Mariana.
Les nombreux éléments et actions présents simultanément dans la représentation laissent place à une multitude d'interprétations possibles, renforçant ainsi la dimension énigmatique qui entoure ce tableau emblématique. À l'image d'une photographie, Les Ménines montre simplement une réalité, ce tableau mais évoque et suggère sans rien expliciter en laissant libre cours à l'imagination du spectateur. C'est cette capacité à susciter des questions sans fournir de réponses définitives qui confère à l'œuvre son caractère fascinant et mystérieux, défiant toute tentative de résolution complète de son énigme.
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