La Chambre bleue est une huile sur toile réalisée par l’artiste peintre française Suzanne Valadon. L’œuvre représente une femme fumant sur un lit fleuri, le tout dans une chambre bleue. D’apparence ordinaire, ce tableau a en réalité révolutionné les portraits odalisques, représentant habituellement des femmes nues dans un harem. Il est l’illustration parfaite de ce qu’était Suzanne Valadon : une femme libre et moderne pour son époque qui ignorait les conventions artistiques et sociales de son temps.
Qui était Suzanne Valadon ?
Suzanne Valadon est née en 1865 à Bessines-sur-Gartempe, en Haute-Vienne, sous le nom de Marie-Clémentine Valadon.
Elle nait dans une famille prolétarienne et suit par la suite sa mère qui emménage à Paris. Ici, elle débute sa carrière artistique à l’âge de 16 ans en tant que modèle pour des artistes tels que Renoir, qui deviendra son amant, ou encore Toulouse-Lautrec. C’est d’ailleurs ce dernier qui lui recommande de changer son prénom pour « Suzanne », référence à la figure biblique qui se fait observer par des vieillards alors qu’elle se baigne. On voit avec cette anecdote qu’elle débute ainsi sa carrière exposée au Male gaze - regard masculin sexualisant de la femme.
Elle a toujours apprécié dessiner et alors qu’elle est entourée d’artistes elle s’investit davantage dans cette passion en représentant sous forme de portraits des membres de son entourage ainsi que des modèles professionnels. Henri de Toulouse-Lautrec la prend sous son aile et lui transmet de nombreuses techniques artistiques nécessaires à son art.
A partir de 1890, elle expose ses premières œuvres et en 1894, elle est la première femme admise à la Société Nationale des Beaux-Arts. En 1909, elle termine une œuvre scandaleuse pour l’époque : Adam et Eve représentant les deux personnages bibliques complètement nus. Son amie et marchande d’art Berthe Weil lui permet de participer à 19 expositions de 1913 à 1937. Toutefois, elle vend insuffisamment d’œuvre car les collectionneurs accordent peu de valeur aux toiles peintes par des femmes. Heureusement, Edgar Degas, afin de l’encourager dans sa carrière artistique, lui achète et collectionne ses premiers dessins.
Suzanne Valadon meurt le 7 avril 1938 à Paris entourée de ses amis peintres Pablo Picasso, Georges Braque et Georges Kars qui a peint le dernier portrait d’elle, sur son lit de mort.
L’artiste ne peut être associée à aucune école tant elle transgressait les codes artistiques de son époque et peut même être considérée comme l’une des peintres les plus avant-gardistes de l’époque de la fin du XIXème et du début du XXème.
Analyse de La Chambre bleue
Comme indiqué précédemment, la chambre bleue représente une femme habillée fumant une cigarette sur son lit dans une chambre bleue. La couleur bleue et la pause de la modèle font référence à l’érotisme des portraits odalisques, ceux-ci représentent habituellement des femmes nues dans leur harem. Ce type de tableau provient du mouvement orientaliste, représentant les femmes orientales et l’Orient en général de manière romantisée voire même fétichisée.
Suzanne Valadon rompt avec cette tradition orientaliste et représente ici une femme aux traits européens, habillée et moderne puisqu’elle fume une cigarette. C’est un instant volé que l’on prend au modèle alors qu’elle est perdue dans ses pensées. La pose demeure lascive ce qui évoque l’attente sexuelle mais la tenue est large et confortable ce qui manifeste également au spectateur un moment de repos.
De plus, cette tenue ample et colorée évoque également une femme moderne pour son temps. De même, la cigarette faisait à cette époque référence aux femmes de « petites vertu » ce qui met en avant l’avant-gardisme de cette femme. Enfin, les formes de la modèle et ses membres épais ne correspondent pas aux codes artistiques de l’époque, exactement ce que Suzanne Valadon souhaitait : « Il faut avoir le courage de regarder le modèle en face si l’on veut atteindre l’âme. Ne m’amenez jamais pour peindre une femme qui cherche l’aimable ou le joli, je la décevrais tout de suite. »
La pudeur, l’artificialité, la modestie et la vertu sont des notions abandonnées par Suzanne Valadon lorsqu’elle représente ici son employée de maison.
Dans une société patriarcale, le nu féminin remplit une fonction d’assouvissement du désir masculin selon l’historien TJ. Clark. Dans ce type d’œuvre, la femme remplit la fonction passive d’objet (du désir masculin). Ainsi, le nu artistique est très codifié afin de remplir la fonction d’assouvissement du désir et de cette manière de rendre le corps littéralement, voir directement, accessible au spectateur masculin. Enfin, les yeux et le visage de la femme sont censés être tournés vers le spectateur. Suzanne Valadon sait tout cela que trop bien suite à son expérience de modèle pour nus féminins.
Pour toutes ces raisons, Valadon a souhaité représenter une femme habillée, le regard détourné et le corps au repos, un petit peu avachi. L’artiste suggère l’érotisme plus qu’elle ne l’offre au regard du spectateur. La pose est passive mais la femme ne l’est pas. D’autre part, le regard voyeur est ici moins le bienvenu.
Cette œuvre permet l’émancipation de la femme de son statut d’objet et une réappropriation de son corps, débarrassée de l’hypersexualisation.
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