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Ida B.

Décryptage : La Grande Vague de Kanagawa (1830)

Probablement l’oeuvre japonaise la plus connue au monde, La Grande Vague de Kanagawa de Hokusai est aussi célèbre que méconnue. Dans cet article, nous plongeons dans l'univers fascinant de cette estampe emblématique, explorant les profondeurs de la vision artistique de Hokusai et dévoilant les mystères qui résident au cœur de cette œuvre qui a transcendé les frontières géographiques et temporelles.




Qui était Hokusai ?


Katsushika Hokusai (1760-1849), né à Edo - l'actuelle Tokyo - était un artiste prolifique dont l'œuvre a transcendé les frontières temporelles pour s'imposer comme une référence incontournable dans le monde de l'art. Hokusai a connu différentes époques de l'histoire japonaise, dont la période Edo, marquée par la paix intérieure et la prospérité culturelle.

Issu d’une famille d’artisans, il commence à peindre dès son plus jeune âge et est initié chez un sculpteur sur bois à l’adolescence. À l’âge de 18 ans, il se forme auprès de Katsukawa Shunsho, artiste d’estampes ukiyo-e. Il explore divers styles et techniques au fil des ans.

Portrait de Katsushika Hokusai par son disciple Keisai Eisen, avant 1848
Portrait de Katsushika Hokusai par son disciple Keisai Eisen, avant 1848

Maître éminent de l'ukiyo-e (ou image du monde flottant), Hokusai se qualifie lui-même de Gakyōjin, le "Fou de dessin", témoignant ainsi de sa passion dévorante pour l'art. En tant qu'inventeur du terme "manga", désignant l'ensemble de ses carnets de croquis et, par extension son "dessin spontané", il a laissé une empreinte indélébile au cours de sa longue carrière. Outre la création d'estampes, il a rédigé des contes, peint une œuvre imposante de 240 m² au balai et à l'encre, tout en se fixant comme objectif de réaliser un dessin par jour.

Il est surtout connu pour ses estampes, et parmi celles-ci, "La Grande Vague de Kanagawa" demeure son œuvre la plus emblématique.




Décryptage de La Grande Vague de Kanagawa


Estampe réalisée vers 1831, La Grande Vague de Kanagawa est le joyau de la série "Trente-six vues du mont Fuji" de Hokusai. Cette œuvre emblématique transcende la simple représentation d'une vague déferlante. Elle capture l'essence même de la nature, illustrant la puissance incontrôlable de l'océan face à l'homme et à la fragilité de la vie.

Hokusai, La Grande Vague de Kanagawa (1830). Estampe gravée sur bois, 25.7 × 37.91 cm.
Hokusai, La Grande Vague de Kanagawa (1830). Estampe gravée sur bois, 25.7 × 37.91 cm.

La Grande Vague se caractérise par plusieurs éléments clés qui la rendent unique et intemporelle. Au premier plan, trois embarcations frêles semblent lutter désespérément contre la déferlante gigantesque. Le mont Fuji, emblème du Japon, domine l'horizon, impassible, contrastant avec la violence tumultueuse de la vague. Ce contraste symbolise la dualité de la nature : la beauté sereine et la force dévastatrice.


La vague symbolise le passage du temps, implacable et inévitable, et évoque la vulnérabilité humaine face aux forces naturelles. Les bateaux, insignifiants devant la démesure de la vague, renforcent le sentiment d'humilité et de respect envers la nature.


Au-delà de la simple représentation visuelle, "La Grande Vague de Kanagawa" porte en elle des significations profondes. La mer et le ciel occupent respectivement la moitié de l’œuvre. La vague tourbillonnante entame un cercle dont le centre pourrait être le milieu de l’œuvre, évoquant le symbole du Yin et du Yang. On y voit un espace fait de violence et de brutalité, qui contraste avec le calme paisible du ciel, comme une métaphore de la dualité humaine. Cette œuvre semble ainsi être une évocation directe des principes taoïstes et bouddhistes.

Vue du principe du Yin et du Yang dans la Vague de Hokusai
Vue du principe du Yin et du Yang dans la Vague de Hokusai

L’extrémité de la lame en écume acérée rappelle la main crochue d’un monstre invisible, voire d’un dragon. Cette interprétation semble d'autant plus plausible que Hokusai avait, quelques années auparavant, peint des mangas illustrant des créatures fantomatiques. Ses œuvres fantastiques jouissent d'une renommée bien établie au Japon, et des similitudes stylistiques évidentes existent entre l'estampe de la Grande Vague et certaines créatures préalables de son répertoire artistique.

Hokusai, Démon riant (1830) de la série Cent histoires de fantômes
Hokusai, Démon riant (1830) de la série Cent histoires de fantômes

Enfin, observez comment la crête de la vague la plus haute se fragmente. Chaque extrémité de cette déferlante reprend la forme caractéristique de la vague elle-même. Cette composition suggère une notion d'infini, à la fois impalpable et méditative. De l’infiniment grand à l’infiniment petit, la vague évoque un mouvement continu et perpétuel, dont la géométrie suit le principe de la fractale.

détails de la vague

L'œuvre regorge de détails subtils qui échappent parfois à l'observateur superficiel. Le bleu et le blanc sont clairement dissociés, traduisant la profondeur de l’océan. Les formes sont marquées d’un cerne noir, caractéristique du style d’Hokusai. L’équilibre est parfait entre les formes, les pleins et les vides. Tous ces éléments contribuent à la richesse de l’estampe. Hokusai maîtrisait l'art de la représentation visuelle, créant une composition équilibrée où chaque détail a sa place et son importance.




Le triomphe de cette œuvre auprès du public japonais s'explique indéniablement par les innovations stylistiques et le talent exceptionnel de Hokusai. Bien qu'il ne s'agisse pas de la première représentation de ce type de vague dans son œuvre, l'estampe de 1830 se distingue comme le point culminant de son travail.

La renommée de La Grande Vague de Hokusai s'étend également à l'Occident, marquant l'émergence du "japonisme" tout au long de la seconde moitié du XIXème siècle. Ce mouvement exercera une influence décisive sur les impressionnistes dès la fin des années 1850, qui apprécient la liberté interprétative des motifs et l'utilisation des aplats de couleur. D’ailleurs, Claude Monet possédait une copie de La Grande Vague dans sa collection personnelle qui comptait pas moins de 231 estampes.


Aujourd'hui, La Grande Vague de Hokusai est omniprésente, que ce soit sur des timbres-poste, du merchandising et même des billets de banque de 1.000 yens dès 2024. Elle continue d'inspirer les artistes contemporains qui lui rendent hommage ou la réinterprètent avec des éléments comiques ou décalés. Dans Les Cigares du pharaon, Hergé s'en est même inspiré pour l'une des vignettes des aventures de Tintin.

Hergé, Les Aventures de Tintin, vol. 4 : Les Cigares de Pharaon
Hergé, Les Aventures de Tintin, vol. 4 : Les Cigares de Pharaon

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