La musique occupe un rôle essentiel dans les films. Elle façonne l'atmosphère, agit comme une ponctuation parfois discrète lors de transitions. La fusion magique entre le cinéma et la musique crée une expérience sensorielle inoubliable, élevant les films au-delà de simples images en mouvement. Lorsque les notes rencontrent les séquences visuelles, naît une alchimie capable de susciter des émotions, de renforcer des scènes mémorables et de donner une identité singulière à chaque œuvre cinématographique.
Les origines
Dès le cinéma muet, la musique assurait essentiellement deux fonctions : couvrir le bruit des appareils de projection et calmer l'angoisse de certains spectateurs plongés dans une salle obscure. Des musiciens accompagnaient les films en direct en s'adaptant le mieux possible aux différentes atmosphères (comique, tragique, etc...).
William Dickson, pionnier du cinéma, fut le premier à synchroniser le son avec l'image en 1894. Dans son court métrage “The Dickson Experimental Sound Film”, le réalisateur se met en scène jouant une partition de Robert Planquette au violon. Dickson est considéré comme le premier réalisateur de l'histoire, le premier acteur et on pourrait ajouter le premier interprète de musique de film.
Au début du XXe siècle, les liens entre cinéastes et musiciens se renforcent, à tel point que des compositeurs de renom s’essaient à l’exercice de la musique de film. Ainsi, le français Camille Saint-Saëns compose en 1908 la musique du court métrage “L'Assassinat du Duc de Guise”. Dans cette continuité, Erik Satie succombe aux sirènes du cinéma et compose une musique pour le film “Entr’actes” (1924) de René Clair et apparaît même à la caméra. Un double rôle d'acteur et de compositeur-interprète que l’on retrouvera beaucoup par la suite.
A l’instar de Fred Astaire, l'acteur et réalisateur Charlie Chaplin va prendre en charge la musique de toutes ses oeuvres à partir du film “Les Lumières de la Ville”. Pendant l’âge d’or d’Hollywood - des années 1930 à 1950, on retrouve ces profils aux talents multiples avec de nombreux films musicaux adaptés des comédies musicales de Broadway. Le Rat Pack, célèbre bande de stars hollywoodiennes, franchit les frontières entre musique de film et industrie musicale. Les acteurs Dean Martin, Sammy Davis Junior et évidemment Franck Sinatra ne vont pas seulement chanter à l'écran, mais vont également sortir de nombreux albums et devenir des interprètes majeurs du monde de la musique.
Les compositeurs d'Hollywood, tels que Alfred Newman et Max Steiner, marquent l'âge d'or avec des bandes originales emblématiques. Bien que la plupart des compositeurs de musique de film ne se limitent pas seulement à cet exercice, le reste de leur production demeure dans l'ombre.
Le Nouvel Hollywood
La musique de film exerce une fascination unique dans la culture populaire, élevant certains compositeurs au statut de culte. Cependant, ces artistes sont souvent réduits à leur contribution cinématographique, occultant leurs multiples talents. Acteurs, chanteurs, réalisateurs s'impliquent dans cet univers musical aux frontières indistinctes.
Une nouvelle vague cinématographique, le nouvel Hollywood, va ringardiser les musiciens de l’âge d’or. Le compositeur Bernard Hermann fait le lien entre ces deux périodes. Il débute dans le cinéma en 1941, en marquant les esprits avec la musique du film “Citizen Kane” de Orson Welles. Il devient ensuite le compositeur attitré d’Alfred Hitchcock, avant de terminer sa carrière à succès aux côtés de Brian de Palma et Martin Scorsese. Sa dernière BO sera pour “Taxi Driver” sorti en 1976. A l’instar de ses aînés de l’âge d’or, Bernard Hermann ne produisait pas uniquement de la musique de films. Le compositeur a écrit un opéra et sorti plusieurs albums de musique classique, mais son travail hors cinéma ne connaîtra jamais le même engouement. Hermann symbolise cette scission entre la musique de film et la production phonographique.
Toutefois, le tandem que Hermann forme avec Alfred Hitchcock est l’expression d’un phénomène récurrent : la collaboration privilégiée entre un réalisateur et un compositeur, comme Ennio Morricone et Sergio Leone. Bien que Morricone ait travaillé avec d’autres réalisateurs comme Quentin Tarrantino et Terrence Malik, son nom reste associé au film de Sergio Leone dans l’imaginaire collectif. Morricone faisait la distinction entre la musique appliquée, celle qu’il composait pour les films, et le reste de sa production qu’il considérait comme de la musique absolue. Mais comme John Williams ou encore Joe Hisaishi, Ennio Morricone voit sa renommée hors du cinéma éclipsée par ses bandes originales.
Les frontières poreuses entre musique de film et production conventionnelle sont exemplifiées par des artistes comme Thomas Newman et son cousin Randy Newman. Malgré une carrière prolifique dans le cinéma, Thomas Newman n’a jamais eu la volonté de s’illustrer ailleurs. A contrario, son cousin Randy Newman, également compositeur de bandes originales, a beaucoup misé sur ses talents d’écrivain et de chanteur en sortant de nombreux albums solo. Il a d’ailleurs composé pour les Beatles et ses chansons ont été reprises par d’illustres interprètes comme Ray Charles et Joe Cocker.
Même des icônes contemporaines comme Hans Zimmer ont des racines dans d'autres genres musicaux, soulignant la diversité complexe de cet univers cinématographique. Roi incontesté de la BO hollywoodienne de nos jours, Hans Zimmer a commencé au sein d’un groupe réputé dans les années 1970 The Buggles. Le compositeur apparaît même dans le clip du mythique “Video killed the radiostar”.
L’émergence de la pop
Le cinéma a toujours intégré la musique, mais contrairement à l'idée d'une séparation stricte, la musique de film attire des artistes aux horizons variés : compositeurs, acteurs, chanteurs, réalisateurs et chefs d'orchestre.
Les frontières entre la musique et le cinéma sont floues, surtout depuis la seconde moitié du XXe siècle. L'ère d'après-guerre et le déclin d'Hollywood dans les années 60 ont marqué un changement esthétique avec une diversification des formes musicales, notamment vers le jazz.
Des films comme "Un tramway nommé désir" (1951) et "La Panthère Rose" (1963) ont favorisé l'essor du jazz au cinéma. Cette nouvelle ouverture musicale facilite l'incorporation de musiciens issus d'autres genres que la musique classique. Les cinéastes n'hésitent plus à solliciter des artistes populaires et renommés dans leurs domaines respectifs. C’est ainsi que le jeune réalisateur français Louis Malle confie à Miles Davis la musique de son film "Ascenseur pour l’échafaud" (1957).
La révolution musicale des années 50-60 n'est pas limitée au jazz. Avec le nouvel Hollywood, la soul et la pop ont également pris d'assaut l'écran. Simon & Garfunkel ont marqué "Le lauréat" (1968) avec la célèbre chanson “Mrs Robinson”. Alors que l'union entre la pop et le cinéma commence à peine à se dessiner, celle de la soul et de la blaxploitation est totalement établie au début des années 70. Ainsi, Isaac Hayes compose le thème mémorable de "Les nuits rouges de Harlem" (1971), qui lui vaudra l’Oscar de la meilleure chanson originale : une première pour un compositeur noir. L’année suivante, Marvin Gaye composera la bande originale de “Troubled Man” (1972).
En 1977, la pop disco des Bee Gees résonne dans le monde entier avec la BO de “Saturday Night Fever”. Le succès est monumental : le disque recevra le Grammy du Meilleur Album de l’Année, une première pour un album disco, et sera la BO la plus vendue de l’histoire pendant plusieurs décennies.
Georgio Moroder a ensuite élargi ces horizons dans les années 80 avec des compositions aux sonorités disco électroniques pour "Midnight Express" (1978) et "Flashdance" (1983). Conforté par deux Oscar, le compositeur enchaîne avec le “Scarface” (1983) de Brian de Palma et produit la musique de “Top Gun” (1986) qui lui vaudra un nouvel Oscar.
Rap & Stratégie marketing
Au tournant des années 90, la musique de film se trouve à la croisée des chemins : doit-elle être le terrain d'expression avant-gardiste des contre-cultures musicales ou se réduire à un rôle de produit marketing ?
La réponse est double : le rap gagne en importance, et les stratégies marketing se multiplient.
En 1994, "Le Roi Lion" déferle et séduit tous les publics. Hans Zimmer orchestre la partie instrumentale, tandis qu'Elton John signe les chansons. Les deux artistes remportent chacun un Oscar, ouvrant la voie à d'autres collaborations Disney avec Sting pour "Kuzco" (2000), Phil Collins pour "Tarzan" (1999) et "Frère des Ours" (2003).
Si l'animation se démarque avec des formules pop dans les années 90 et 2000, d'autres secteurs du cinéma ne restent pas en retrait. Whitney Houston triomphe avec la bande originale du film "Bodyguard" (1992).
Les années 90 et 2000 voient également l'émergence de propositions plus audacieuses, célébrant les contre-cultures en lutte contre l'establishment, en particulier le rap. Des liens plus étroits se forment entre le rap et le cinéma puisque des premiers rôles sont confiés à des rappeurs. Ainsi, Ice Cube incarne un des personnages principaux de “Boyz N The Hood” (1991) et signe également un morceau de la BO.
En 1995, le réalisateur français Matthieu Kassovitz, ambitieux et amateur de hip-hop, va plus loin en demandant à divers groupes de rap de créer non pas la bande originale, mais un album entier inspiré du film "La Haine". Cette compilation, avec entre autres IAM, Ministère Amer et La Cliqua, marque l'histoire du rap français.
Ces changements profonds expliquent en grande partie l'industrie cinématographique contemporaine. Du “8 Mile” (2002) d'Eminem à la BO de “Black Panther” (2018) produite par Kendrick Lamar, en passant par le “Comment c’est loin” (2015) d’Orelsan, le rap s'est définitivement installé au cinéma.
La révolution électro
En parallèle de l'essor rapide du hip-hop au cinéma, un autre genre a émergé, contribuant au renouvellement des bandes originales : c’est la musique électronique.
Wendy Carlos se distingue comme pionnière, attirant l'attention de Stanley Kubrick qui la choisit pour la bande originale de "Orange Mécanique" en 1971. Leur collaboration se poursuit neuf ans plus tard avec "Shining" (1980), dont la musique laisse une empreinte durable. En 1982, Walt Disney sollicite Wendy Carlos pour la bande originale de "Tron".
Les années 80 voient une présence croissante des synthétiseurs et de la musique électronique à l'écran. Dès les années 90, des formes plus radicales, telles que la techno et la house, gagnent en reconnaissance cinématographique. La célébration de ces sonorités nouvelles passe souvent par des compilations, comme dans "Matrix" (2003). Toutefois, au début des années 2000, les frontières s'effondrent. En 2008, Paul Kalkbrenner compose la quasi-totalité de la musique du film "Berlin Calling".
En 2010, l'électro s'installe définitivement parmi les grands. Disney fait appel à Daft Punk pour la bande originale de "Tron : l'héritage", faisant écho au rôle précurseur de Wendy Carlos.
Non limités à des apparitions sporadiques, des acteurs majeurs de la scène électronique deviennent de véritables compositeurs de films dans les années 2000. Junkie XL, DJ émérite de l'electronica, se lance dans la musique de film vers 2010, accumulant aujourd'hui une vingtaine de bandes originales, dont celles de blockbusters tels que “Deadpool” (2016), “Tomb Raider” (2018) et “Mad Max Fury Road” (2015).
De ses débuts à nos jours, la musique de film a connu des évolutions majeures. Récemment, la musique électronique et le rap sont devenus des phénomènes culturels majeurs, pleinement intégrés au patrimoine cinématographique, à l'instar du jazz, de la soul et du rock avant eux.
De ses débuts modestes dans le cinéma muet jusqu'aux collaborations audacieuses d'aujourd'hui, la musique a transcendé son rôle pour devenir un élément essentiel dans la création cinématographique. Des compositeurs polyvalents aux frontières floues entre musique de film et production conventionnelle, en passant par l'émergence du rap et de la musique électronique, chaque décennie a apporté son lot d'innovations. Ainsi, la musique reste un pilier fondamental du septième art, tissant une connexion émotionnelle avec le public et enrichissant l'expérience cinématographique bien au-delà de ce que les yeux peuvent voir.
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