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Ida B.

Le digicore

Né sur SoundCloud via les serveurs Discord et les chaînes Minecraft, vous n’avez pas pu passer à côté de ce son maximaliste et chaotique, porté par de nombreux artistes parmi lesquels Glaive ou encore Winnterzuko en France.


Dans cette ère de renaissance artistique, le digicore se profile comme une rupture radicale avec les conventions établies, une célébration éclatante de la liberté créative. Alors que certains pourraient y voir une simple évolution musicale, le digicore transcende les étiquettes et les frontières, devenant un mouvement à part entière.





Les origines


En 2013, en Angleterre, A.G. Cook puise ses influences dans l'électro japonaise, les méandres d'internet et les sons commerciaux des années 2000 pour composer une musique pop sans limites. Son ambition ? Repousser les limites de chaque genre musical jusqu'à l'extrême, défiant ainsi le courant dominant de la musique électronique sobre et minimaliste. A.G. Cook refuse de composer en solitaire et fonde alors son propre label, PC Music, incarnant une philosophie qui transcende les frontières musicales. Une invitation directe à ceux qui aspirent à repousser les limites, en particulier la communauté LGBT, rapidement représentée par des artistes comme Charlie XCX, Sophie ou encore Dorian Electra, tous porteurs de la même vision novatrice.


Outre-Atlantique, Laura Les et Dylan Brady repoussent encore les limites avec leur duo 100GECS, mêlant punk, rock, rap, électro et glitch. Leur titre "Money Machine" devient un phénomène viral, propulsant le son digicore sur le devant de la scène.



Ce son rencontre un succès retentissant, cumulant 6 millions d'écoutes sur SoundCloud et 16 millions de vues sur YouTube. Ce qui est remarquable, c'est sa présence dans une variété de playlists, aussi bien celles des auditeurs de trap que celles des passionnés d'électro et de punk rock.





L’explosion


Spotify perçoit rapidement le potentiel et crée en 2019, une playlist dédiée à ce nouveau genre. Mais voilà le dilemme : quel nom lui donner ? L’équipe data analyse les termes associés à cette musique et tombe sur le terme "hyperpop", évoqué dans un article de Pitchfork décrivant l'influence du label PC Music. Ainsi, la playlist prend le nom d'hyperpop et devient un véritable tremplin pour les artistes du mouvement.



Mais le digicore ne se limite pas à une seule esthétique. Dans le rap, un mouvement similaire émerge en Suède avec Yung Lean et le collectif Drain Gang, posant les bases du cloud rap. SoundCloud devient alors le carrefour incontournable pour les rappeurs qui repoussent les limites des genres musicaux, explorant de nouvelles sonorités et approches de la performance, à l'instar de XXXTentacion, Lil Peep, Playboi Carti et Black Kray.


À partir de 2020, une nouvelle vague émerge de cet héritage, propulsant le mouvement encore plus loin avec des artistes tels que David Shawty, Capoxxo, Midwxst et Glaive. Spotify décide alors d'intégrer cette tendance à la playlist Hyperpop, déclenchant ainsi une explosion phénoménale. L'hyperpop devient rapidement le nouveau phénomène musical en vogue, propulsant des artistes jusqu’alors niches sur SoundCloud vers une audience mondiale. Cependant, l'hyperpop devient rapidement une sorte de fourre-tout, regroupant des artistes aux univers parfois très différents.


Il y a beaucoup d’artistes qui sont regroupés sous l’hyperpop alors qu’ils relèvent plutôt de l’expérimental – mais c’est principalement dû au fait que personne ne connait la différence entre hyperpop ou digicore.” déclare Quinn, la productrice de 19 ans qui est devenue le visage de l'hyperpop en 2020, après que son morceau à succès “i dont want that many friends in the first place” ait cumulé des millions de streams.


Après avoir conquis le paysage musical anglophone, cette scène s'étend désormais vers les pays hispanophones, notamment en Amérique latine, et émerge également en France avec des artistes comme Realo, Snorunt, Nyluu, ainsi que le duo Angsty Camboyz Revenge.



Entre rappeurs héritiers de Chief Keef et artistes flirtant avec la pop commerciale d'A.G. Cook, la diversité est au rendez-vous. Cette hétérogénéité suscite cependant des interrogations quant à la cohérence de les rassembler dans une même playlist. SoundCloud saisit alors l'opportunité et lance sa propre playlist digicore, mettant en lumière les artistes issus de la trap. Apple Music, de son côté, n'est pas en reste avec sa playlist Glitch, faisant écho au glitchcore, une autre appellation souvent associée à ce mouvement.


Le but premier de ces artistes est de transcender les catégories musicales et de jouir d'une totale liberté artistique. Vous l’aurez compris, loin d’eux la volonté d’être confinés par des étiquettes limitantes, surtout lorsqu'elles sont imposées par les stratégies marketing de grandes entreprises.





La recette


Une caractéristique saisissante du digicore réside dans l’importance accordée à la production sonore. Les beatmakers occupent une place aussi centrale que les interprètes, façonnant des productions musicales marquées par leur éclectisme. Bien que la trap soit omniprésente, elle s'inscrit plutôt dans le foisonnement sonore de PC Music et 100 GECS, avec des productions chargées et extrêmes. On y trouve souvent des claviers rétro enveloppants et des basses saturées imposantes.

"Le digicore, en revanche, est beaucoup plus sale, avec des paysages sonores non maîtrisés et des 808 distordus qui prennent généralement le dessus sur toute la chanson”, déclare Quinn au magazine Dazed.


Les artistes explorent également les sons de leur enfance, principalement influencés par deux styles dominants issus des années 2000. Les beatmakers du mouvement digicore puisent leur inspiration d’une part, dans l’électro auprès de Daft Punk, Justice, Aphex Twin, et d’autre part dans l'eurodance, auprès de groupes comme Eiffel 65.


L'autre tendance prédominante est celle du rock alternatif des années 90/2000, imprégné des influences de groupes tels que Nirvana, Linkin Park ou System of A Down. Ce qui rend cette fusion intéressante, c'est que ces diverses influences sont souvent amalgamées au sein d'un même morceau.



Le tout est généralement mixé de manière un peu brute et chaotique, préservant ainsi l'authenticité et l’honnêteté de la musique, ce qui la distingue nettement des succès radiophoniques.


Une autre caractéristique de la digicore est le traitement des voix. Les artistes investissent énormément de temps dans le mixage. Le premier effet utilisé de manière quasi-systématique est l'autotune, poussé à l'extrême, conférant souvent à la voix une tonalité artificielle et robotique. Un deuxième effet fréquemment utilisé consiste à modifier le pitch de la voix pour la rendre plus aiguë, souvent associé à une accélération globale du son. Cette technique puise ses inspirations dans les “babys voices” des artistes trap tels que Young Thug ou encore Playboi Carti.



Dans le digicore, on retrouve souvent ces voix altérées, d'un registre plus aigu que la normale, conférant parfois une tonalité féminine même lorsque ce sont des voix masculines. Cette caractéristique favorise la présence féminine dans ce style musical, bien plus que dans le rap traditionnel. En France, des artistes comme BabySolo33 ou 09PEAS se démarquent dans ce mouvement.



Le troisième effet récurrent, connu sous le nom de stutter ou bégaiement vise à briser la linéarité sonore, comme si le son était pris d'une panne. Parfois, cet effet est agrémenté de glitches massifs sur la production. Cependant, le découpage intensif des voix peut également servir des intérêts mélodiques, reflétant l'influence de Crystal Castles qui a largement exploré cette voie dans les années 2000.



Mais le digicore ne se contente pas d'un traitement audio. Sur le plan visuel et cinématographique, on retrouve les mêmes éléments que dans les productions musicales. Tout est exagéré voire démesuré, avec une profusion de couleurs, d'incrustations et d'effets en tous genres. La culture internet est omniprésente à travers les glitches et les mèmes. Ce style de vidéo est devenu une trend sur TikTok, appelée #glitchcore, contribuant ainsi à la popularité de la scène. S'y ajoutent des images évoquant l'enfance : dessins animés, mangas et jeux vidéo.






Alors que le mouvement semble être en perte de vitesse depuis son essor initial, ses empreintes persistent dans le paysage musical. De jeunes artistes, jadis étiquetés comme hyperpop, ont embrassé des carrières florissantes en repoussant les frontières du genre. L'album inaugural "drive-by lullabies" de Quinn, paru en 2021, délaisse les sonorités sucrées pour explorer les méandres de la drum'n'bass.


Une chose est sûre, le digicore aura façonné un panorama musical audacieux, où les artistes puisent librement dans leurs influences variées pour façonner leur art.

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